L’échiquier du vent

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Ces obscurs objets du désir.

Film que l’on croyait à jamais perdu jusqu’au jour où la fille du réalisateur retrouve par chance les bobines chez un brocanteur, L’échiquier du vent renait de ses cendres par la grâce de Martin Scorsese et de la cinémathèque de Bologne qui ont œuvré à sa remarquable restauration. Rendant ainsi grâce à ce véritable petit bijou dont l’esthétique raffinée sert de miroir à la barbarie humaine. Œuvre dont le cadre abrite et exacerbe l’avidité et la bestialité d’une bourgeoisie exsangue d’un matérialisme jamais comblé. L’escalier central impose par ses perspectives, plongée et contre-plongée,  l’impitoyable hiérarchisation qui s’instaure et se renverse au fil des événements. Avec une minutie qui peut sembler précieuse et lénifiante, les jeux de miroir et autres effets de cadrage traduisent les mécanismes de la manipulation, de la fragilité des positions, du bourreau à la proie; tout n’est qu’affaire d’objets. À l’instar de Barry Lyndon, dans les scènes nocturnes, seules les bougies nourrissent notre voyeurisme. Mais les teintes n’ont cependant rien de chaleureuses et bienveillantes. Comme des chandelles qui perdent progressivement leur intensité au cours de la nuit, le décorum fastueux et baroque se transforme en une lugubre scène de massacre quand les âmes sombrent définitivement dans les ténèbres. Voilà une œuvre que Winding-Refn pourrait louer comme modèle.

 

Lorsqu’un auteur entend sonder les pulsions arrivistes, la bourgeoisie constitue souvent  le plus fertile des terreaux pour exhaler la puanteur de l’âme humaine. Un palier apparemment accessible pour tous nos phantasmes vénaux. Elle accueille en son sein jeunes ambitieux, domestiques ingénieux et anciens riches endettés. L’avidité s’exacerbe au contact de nos semblables. Les scrupules,  digues sans fondation, cèdent immédiatement quand les luxueux objets et les corps luisants deviennent à portée de main.  Mains d’Harpagon qui plongent dans les voluptueuses boîtes à bijoux, mains baladeuses sur une cheville à peine dénudée, la tentation grandit, la tension se raidit. La religion ne saurait empêcher l’acide de se répandre, au contraire, on ose même dévoyer un misbaha à des fins létales. Comme son homologue Zolienne, la Thérèse Raquin persane se retrouve vampirisée par son crime. La sous-exposition renforçant l’aspect marmoréen des nombreuses figures qui veulent triompher, il est vain et vaniteux de penser choisir sa destinée, l’échiquier choisit lui-même les pions qui resteront debout à la fin du sanglant jeu de stratagèmes.

 

 

Titre original : Shatranj-e baad

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Durée : 101 mn


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