Le vaisseau fantôme

Article écrit par

Une immersion en eaux troubles, au coeur de l’inconscient, aux confins de la folie… Un film qui provoque le mal de mer et qui ne donne pas envie de remonter sur un bateau!

Le vaisseau fantôme, n’en déplaise aux fans inconditionnels du Maître, n’est pas uniquement un opéra de Richard Wagner (Der fliegende Holländer, 1843), c’est aussi, 100 ans plus tard, un film de Mark Robson, ressorti récemment en DVD. Il n’est cependant pas inintéressant de s’attarder quelques instants sur les différences de traitement d’une même légende. L’opéra choisit un angle dramaturgique qui met à contribution des éléments « divins » : une tempête se déchaîne, et c’est le début des problèmes! Punition céleste condamnant le pauvre marin hollandais à errer en eaux troubles. Son seul salut pouvant venir de l’amour fidèle d’une femme. La beauté et la pureté du sentiment nettoyant les pêchés. Un châtiment venu des Dieux qui rappelle, si besoin était, que rien ne saurait advenir sans le consentement divin. Un siècle s’écoule, le cinéma fait à présent partie d’une forme de quotidien et les hommes, sous l’impulsion des progrès techniques, commencent presque à se prendre pour Dieu. Chez Robson donc, la perturbation du fragile équilibre ne viendra pas d’un élément climatique naturel mais bien d’une modification à l’intérieur même du bateau. Les êtres humains sont ainsi confrontés à leurs propres responsabilités.

Tourné chez la RKO sous l’égide du producteur Val Lewton (celui-là même qui s’occupa des meilleurs Tourneur : La féline en 1942, Vaudou et L’homme léopard tous deux en 1943), Le vaisseau fantôme est un film aussi paranormal que le sujet qu’il traite. Fait dans des conditions économiques assez restrictives (un budget limité à 150 000 $ pour une œuvre ne devant pas dépasser les 75 minutes), récupérant  « les restes » des décors de Pacific Liner (Lew Landers, 1939), il sera par ailleurs, peu de temps après sa sortie, interdit en salle. En effet, en 1945 les producteurs perdent leur procès pour plagiat de scénario et toutes les copies du film doivent être détruites. Bon… Nous savons maintenant qu’elles n’ont pas toutes été brûlées! Le vaisseau fantôme est donc un film fantôme qu’il faut s’empresser de (re)découvrir.

Semblant au départ osciller entre le film d’horreur et le film fantastique, Le vaisseau fantôme est plutôt un thriller mental qui se sert du fantastique. C’est en effet cet aspect qui trouble les explications psychologiques, semant le doute sur les intentions de chaque personnage. Un matelot muet raconte en off tout ce qui risque de se produire, le capitaine se confie à une amie lors d’une escale et lui avoue avoir peur de perdre la tête, le troisième officier passe aux yeux de tous pour un fou… Nul n’est vraiment celui qu’il laisse paraître, toutes les apparences ne sont que des subterfuges. On ne sait si les malheurs qui s’abattent sur le navire sont le fait des hommes ou celui du surnaturel. Jamais de réelle explication, juste de constantes interrogations. À l’époque où les effets spéciaux étaient une denrée rare, il fallait au réalisateur et à son équipe inventer d’autres processus de montée de l’angoisse. Ici cela passe par bien des choses, mais trop en dire serait gâcher une forme de plaisir. Le mieux reste de le découvrir!

 

Titre original : The Ghost Ship

Réalisateur :

Acteurs : , ,

Année :

Genre :

Durée : 69 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…