Fraternité contrariée
La puissance du film repose en grande partie sur ses deux comédiens principaux, qui traduisent pleinement à lécran toute la confiance et la liberté que le metteur en scène leur a confiées. Comme pour un grand nombre de ses personnages, Tahar Rahim réussit à fissurer la belle et superficielle apparence derrière laquelle il pourrait se laisser cloisonner. Plus le récit avance, plus lopacité de Brahim saccentue. Difficile de déchiffrer ce qui se cache derrière ses sourires, ses questions, ses actes. Lhomme passe constamment du doute à laction et vice-versa. Peu profilé pour interpréter une star comique, Tahar Rahim, sen tire plutôt bien, dans les rares scènes de spectacle imposées par le récit. Enfin un scénario qui ne multiplie pas les numéros scéniques pour masquer sa vacuité.
Roschdy Zem, quant à lui, sort rapidement de la caricature du grand frère que les premières impressions nous font craindre. Même dans ses excès de violence les plus extrêmes, Mourad apparaît comme le plus fragile des deux hommes. Bien sûr, les relations amour-jalousie entre deux frères sont légions dans ce type de sujet. Mais quand la justesse émotionnelle est au rendez-vous, durant les nombreuses scènes réunissant les deux frères, pas de raison de faire la fine bouche. La mise en scène apaisée, éclairée avec douceur, évite dexacerber artificiellement latmosphère déjà tendue. Malheureusement, les personnages secondaires manquent cruellement dépaisseur. Difficile de sattacher réellement à Linda, la compagne et metteur en scène de Brahim, interprétée ici par Maïwenn.
Des univers impitoyables
Le monde du spectacle se divise en deux strates. Sur le terrain, des artistes en danger qui doivent cent fois sur le métier remettre leur ouvrage pour satisfaire un public de plus en plus exigeant. En coulisse, des promoteurs pour qui largent demeure le seul intérêt. Certes, on veut bien y croire mais encore faut-il éviter la démagogie. Hervé (Grégoire Colin), un WASP à la française, ne fait pas dans le sentiment, ni dans la demi-mesure : « Soit tu suis mes conseils à la lettre, et quitte ton frère, soit tu restes dans ta médiocrité ». Par contre, un célèbre rappeur, issu du même milieu social que Brahim, se dit prêt à investir à perte dans une affaire qui occuperait Mourad, au nom de lamitié et de la solidarité qui uniraient les gamins des banlieues.
Beaucoup plus gênante encore, la sentence finale. Si Mourad a dépassé lentendement en sattaquant à son frère, la faute en revient à la société qui jalouse la réussite dune certaine minorité mal acceptée en France. Des paroles plus quinappropriées dans un récit qui navait jusque là jamais abordé le thème du racisme. Lussy-Modeste (issu de la communauté des gens du voyage) aurait-il des comptes personnels à régler ? En lieu et place, le réalisateur aurait été mieux inspiré dapprofondir sa réflexion sur les méfaits dune cellule familiale trop intrusive, dont on perçoit les dérives lors dune belle scène de repas. Cette problématique se résoudra par une bonne dose de sentimentalisme et de bienveillance, bien commode pour désamorcer lampleur dun drame qui sannonçait pourtant plus riche.