Le prix du succès

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Le show et le froid.

Après dix ans de carrière qui l’ont conduit au firmament du Stand-up, l’heure est à la remise à cause pour Brahim. Pour donner un nouvel élan à sa créativité, l’humoriste va devoir s’émanciper de l’omniprésence de son frère pour enfin travailler avec un manager ambitieux. Malgré son faible impact sur le public, Jimmy Rivière, le précédent film de Teddy Lussy-Modeste, n’était pas passé inaperçu pour tout le monde, obtenant notamment le Prix Louis Delluc du premier film en 2011. Dans Le Prix du succès, on retrouve la même volonté de construire son récit autour d’un dilemme cornélien : se renier ou trahir les siens. Autant Teddy Lussy-Modeste ne manque pas d’atouts pour capter les tensions psychologiques entre les deux frères, autant il se montre décevant dans la dimension sociale qu’il entend associée à son sujet.


Fraternité contrariée

La puissance du film repose en grande partie sur ses deux comédiens principaux, qui traduisent pleinement à l’écran toute la confiance et la liberté que le metteur en scène leur a confiées. Comme pour un grand nombre de ses personnages, Tahar Rahim réussit à fissurer la belle et superficielle apparence derrière laquelle il pourrait se laisser cloisonner. Plus le récit avance, plus l’opacité de Brahim s’accentue. Difficile de déchiffrer ce qui se cache derrière ses sourires, ses questions, ses actes. L’homme passe constamment du doute à l’action et vice-versa. Peu profilé pour interpréter une star comique, Tahar Rahim, s’en tire plutôt bien, dans les rares scènes de spectacle imposées par le récit. Enfin un scénario qui ne multiplie pas les numéros scéniques pour masquer sa vacuité.

Roschdy Zem, quant à lui, sort rapidement de la caricature du grand frère que les premières impressions nous font craindre. Même dans ses excès de violence les plus extrêmes, Mourad apparaît comme le plus fragile des deux hommes. Bien sûr, les relations amour-jalousie entre deux frères sont légions dans ce type de sujet. Mais quand la justesse émotionnelle est au rendez-vous, durant les nombreuses scènes réunissant les deux frères, pas de raison de faire la fine bouche. La mise en scène apaisée, éclairée avec douceur, évite d’exacerber artificiellement l’atmosphère déjà tendue. Malheureusement, les personnages secondaires manquent cruellement d’épaisseur. Difficile de s’attacher réellement à Linda, la compagne et metteur en scène de Brahim, interprétée ici par Maïwenn.

 

Des univers impitoyables

Le monde du spectacle se divise en deux strates. Sur le terrain, des artistes en danger qui doivent cent fois sur le métier remettre leur ouvrage pour satisfaire un public de plus en plus exigeant. En coulisse, des promoteurs pour qui l’argent demeure le seul intérêt. Certes, on veut bien y croire mais encore faut-il éviter la démagogie. Hervé (Grégoire Colin), un WASP à la française, ne fait pas dans le sentiment, ni dans la demi-mesure : « Soit tu suis mes conseils à la lettre, et quitte ton frère, soit tu restes dans ta médiocrité ». Par contre, un célèbre rappeur, issu du même milieu social que Brahim, se dit prêt à investir à perte dans une affaire qui occuperait Mourad, au nom de l’amitié et de la solidarité qui uniraient les gamins des banlieues.

Beaucoup plus gênante encore, la sentence finale. Si Mourad a dépassé l’entendement en s’attaquant à son frère, la faute en revient à la société qui jalouse la réussite d’une certaine minorité mal acceptée en France. Des paroles plus qu’inappropriées dans un récit qui n’avait jusque là jamais abordé le thème du racisme. Lussy-Modeste (issu de la communauté des gens du voyage) aurait-il des comptes personnels à régler ? En lieu et place, le réalisateur aurait été mieux inspiré d’approfondir sa réflexion sur les méfaits d’une cellule familiale trop intrusive, dont on perçoit les dérives lors d’une belle scène de repas. Cette problématique se résoudra par une bonne dose de sentimentalisme et de bienveillance, bien commode pour désamorcer l’ampleur d’un drame qui s’annonçait pourtant plus riche.

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