Le Magicien d’Oz

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Sorti au début de la seconde guerre mondiale, « Le Magicien d’Oz » demeure encore aujourd’hui l’une des incarnations de la fabrique à rêves américaine de cette époque.

Le Magicien d’Oz fait partie de ces films devenus des légendes du cinéma, il se classe parmi les oeuvres scellées dans la mémoire culturelle universelle, et visionnées de génération en génération. Et pour cause, profondément inscrite dans la culture populaire américaine, cette comédie musicale adaptée de l’œuvre éponyme de Lyman Frank Baum, confère au mythe. C’est une mythologie toute étatsunienne qui sert le film, nous sommes en 1939 lorsqu’il sort en salles et de l’autre côté de l’Atlantique l’Europe vient de basculer dans la seconde guerre mondiale. Du côté américain, les stigmates de la Grande Dépression sont toujours présents. Dans ces conditions, le colosse que représente la Metro-Goldwin-Mayer, conduite par Louis.B Mayer, achète les droits du roman, sentant à travers ce conte populaire un nouveau succès pour les petits et les grands (ainsi du Blanche Neige de Walt Disney sorti deux ans plus tôt). L’adaptation passe entre les mains de plusieurs scénaristes avant d’aboutir. La production est confiée à Mervyn LeRoy, avec l’aide de l’as des comédies musicales, Arthur Freed, tandis que la réalisation revient à Victor Fleming. Chacun est à la tâche pour créer un film à même de vendre toujours plus de rêve aux spectateurs américains. L’année 1939, triste date historique, sera pourtant une année à succès phénoménale pour la MGM (avec Autant en emporte le vent, autre œuvre mythique, signée Victor Fleming, qui vaquera d’un tournage à l’autre, passant le relais à King Vidor pour Le Magicien d’Oz). Adrian, grand costumier de l’âge d’or d’Hollywood, fabrique des costumes singuliers qui distingueront chacun des personnages, comme la reconnaissable robe chasuble en vichy portée par Judy Garland ou encore les costumes de ses trois compagnons atypiques.

L’emblématique chanson du Magicien d’Oz, « Over the rainbow » (écrite par Yip Harburg et composé par Harold Arlen) dresse le programme : une déclinaison de couleurs à l’écran, l’apprentissage de la vie, avec ses moments doux et amers, à travers l’expérience de l’enfance, l’espoir de jours plus radieux, la valeur refuge du foyer (« there is no place like home »), d’où sa caractéristique particulière de « film familial ». Cette ode à la famille sera d’ailleurs déclinée dans plusieurs comédies musicales de la décennie comme par exemple Le Chant du Missouri, toujours avec Judy Garland. Si dans la comédie musicale de Vincente Minnelli (1944), le Technicolor est toujours l’outil esthétique qui transporte les spectateurs, Le Magicien d’Oz n’a pas son égal dans son registre du conte merveilleux. C’est ainsi que l’héroïne du film, Dorothy (Judy Garland), une jeune orpheline, échappera, le temps d’un rêve, à son triste quotidien d’un Kansas abîmé par la Grande Dépression. La pellicule sépia utilisée au début du métrage vient caractériser ce réel morne bientôt emporté par un cyclone dont le tourbillon transportera Dorothy et sa maison jusqu’au territoire de Munchkinland, dans le Pays d’Oz.

 

 

Dès que la jeune fille arrive sur le territoire imaginaire d’Oz, l’éclatant Technicolor vient remplacer le filtre sépia qui ouvre la comédie musicale. Il est le substrat esthétique de cette période qui permet d’alimenter la fabrique à rêves cinématographique en rendant chaque plan plus flamboyant et féérique, en emmenant les spectateurs vers un monde enchanteur saturé de couleurs vives à l’opposé du quotidien gris et difficile du réel : à l’image des souliers rubis scintillants couverts de sequins portés par Dorothy comme une protection. La gentille sorcière du Nord (Billie Burke) lui dira de les garder bien vissés à ses pieds, contre la Méchante Sorcière de l’Ouest (« their magic must be very powerful or she would not want them so badly. »). Et pour cause, si vous tapez trois fois du talon avec ces souliers, vous pouvez rentrer à la maison. Avant de rentrer chez elle, Dorothy devra prendra la route de brique jaune vers la Cité d’Emeraude et son vert miroitant, pour tenter d’obtenir de l’aide du Magicien d’Oz contre la méchante sorcière qui la menace. Les scènes dans le Pays d’Oz forment la célébration de ces aplats de couleurs magiques et servent de toile de fond aux chorégraphies et aux chants du film. Certains de ces plans chromatiques époustouflants conservent toute leur puissance émotionnelle, comme le plan rapproché sur les petits pieds enfantins de Dorothy enveloppés des souliers rubis qui tâtonnent la route de brique jaune avant de s’élancer dans l’aventure. La candeur juvénile de Judy Garland rend son personnage particulièrement touchant, égaré dans un rêve pour en revenir grandi et plus à même d’affronter la réalité.

On ne peut songer à ce récit lié à l’enfance sans penser au sort de Judy Garland. Les producteurs jettent leur dévolu sur la jeune actrice pour le rôle titre alors qu’elle n’est âgée que d’à peine seize ans. Elle deviendra pas la suite une véritable star de l’âge d’or hollywoodien et finira les ailes brûlées comme Icare, par l’envers de la fabrique à rêves, en dépit de ses nombreux talents (danse, chant, jeu). Encore aujourd’hui des informations témoignent du traitement néfaste et de la pression qui auraient été exercés sur l’adolescente (jugée trop potelée) durant le tournage de la comédie musicale. Des anecdotes révèlent aussi les failles d’une production où la magie se transformait parfois en sortilège : ainsi en est-il de l’acteur Buddy Elsen dans le rôle de l’Homme-de-fer-blanc, qui finit à l’hôpital, les poumons remplis de poudre d’aluminium, avant d’être limogé et remplacé au pied levé par Jack Haley. Le film est à l’image du magicien d’Oz (Frank Morgan), qui se révèle être un personnage dépourvu de véritable pouvoir, plutôt une figure ne possédant que les charmes que l’on veut bien placer en elle. Tandis que la magie et ses envoûtements reposent dans les capacités imaginatives les plus insoupçonnables de l’humain. Faisant fi de toutes les brutalités du monde et de l’envers du décor. A ce titre, Le Magicien d’Oz est un parangon de cette prestidigitation du cinéma à l’ère de la MGM. Là où les stars devaient être plus nombreuses que dans les cieux («More stars than in Heaven » ) au-delà de l’arc-en-ciel, là où « les cieux sont bleus/ Et les rêves qu’on ose faire deviennent bel et bien réalité. »

Titre original : The Wizard of Oz

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