L’Attentat

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Adaptation fidèle du roman de Yasmina Khadra, ce film de Ziad Doueiri nous dévoile le conflit israélo-palestinien sous un angle à la fois nuancé et bouleversant.

Les pierres du Moyen-Orient sont brûlantes et le cinéaste qui voudra s’en emparer pour raconter les conflits de cette région incandescente sera aussitôt poursuivi par les flammes de la censure. C’est ce qui est en passe d’arriver à l’auteur de L’Attentat, Ziad Doueiri. Après avoir reçu les honneurs d’Hollywood au Festival du Film Français de Los Angeles, le film de Douieri est l’objet d’une vive polémique au Liban, le propre pays du réalisateur, où une cabale est menée pour l’interdiction du film en vertu d’une loi prohibant aux ressortissants libanais d’être en contact avec un Israélien. Doueiri a effectivement commis le crime de tourner son dernier film non pas en territoire neutre comme il aurait pu facilement le faire mais in situ, en partie à Tel-Aviv avec quelques acteurs israéliens et aussi à Naplouse, en Cisjordanie.

 

 

Auteur en 1998 du remarqué West Beyrouth et de Lila dit ça en 2004, Ziad Doueiri, cadreur dans une vie antérieure de Quentin Tarantino, nous offre donc cette fois l’adaptation d’un roman du prolifique algérien Yasmina Khadra : L’Attentat, publié en 2005. On peut dire que le jeune metteur en scène libanais n’y est pas allé avec le dos de la cuillère en choisissant ce livre de Khadra car il ne pouvait élire scénario plus fort, plus captivant afin de poser des questions cruciales sur la violence, qu’elle soit de l’ordre de l’intime ou de la sauvagerie aveugle. Doueiri déclare à ce sujet avoir voulu aller « au-delà des évidences que tout le monde connaît concernant le conflit israélo-palestinien ». Dans cette perspective, le roman de Khadra – haletant, presque sidérant – est une source d’une richesse et d’une intensité exemplaires pour un scénario qui reste toujours très proche du texte originel.

 
Amine Jaafari est un Israélien d’origine arabe. C’est un chirurgien réputé qui vit et exerce à Tel-Aviv. Un attentat kamikaze a lieu dans un McDonald de la ville. C’est un carnage. Toute la journée, le docteur Jaafari opère les survivants. Le soir, il rentre dans sa villa cossue. Il apprendra dans la nuit que sa femme est soupçonnée d’être l’auteur de l’attentat.
Peut-on seulement imaginer le cataclysme intérieur d’un homme confronté à un tel drame ? Rien ne préparait Jaafari à la nouvelle que lui annoncent les policiers chargés de l’enquête. À l’explosion meurtrière du restaurant répond une déflagration mentale balayant tous les repères du chirurgien. Dans une scène inaugurale, on le voit recevoir un prix décerné par une Académie israélienne. Il est le premier médecin arabe à recevoir ce prix. À ce moment précis du récit, le docteur Jaafari se trouve au summum de sa réussite et de son intégration dans la société israélienne. Quelques heures plus tard, il sera vilipendé comme terroriste. Ses plus proches amis juifs vont lui rester fidèles – du moins dans un premier temps. Lorsque Jaafari va regagner Naplouse, berceau de sa famille, pour rechercher l’auteur du « lavage de cerveau » de Siham, sa femme, il va se rendre compte qu’il est l’objet d’autant de méfiance et de rejet de la part de ses frères arabes que de ses compatriotes juifs. Sa situation est inextricable. Jaafari sera désormais suspect dans sa patrie d’adoption et un étranger chez les siens. À travers l’histoire spectaculaire – parce que romanesque mais tout à fait vraisemblable – d’Amine, Zouad Doueiri évoque en creux l’identité compliquée (double appartenance mais pas exactement double identité) des Arabes israéliens, ces Palestiniens restés en Israël en 1948 et qui ont reçu la nationalité israélienne.
 
 

Le film de Douieri pose deux questions fondamentales. D’abord l’idée du mystère dans un couple. Amin vit aux côtés d’une jeune femme occidentalisée comme lui. Ils s’aiment, du moins le croit-il, et Amine ne semble à aucun moment avoir perçu une quelconque activité parallèle chez sa femme, encore moins la volonté de vouloir se faire sauter avec une bombe. Plusieurs flashes-back rappellent l’amour de ce couple, s’embrassant comme dans un rêve. Le film souligne avec une violence inouïe, paroxystique, le mystère profond pouvant exister entre deux personnes pourtant très proches.

Autre stupéfaction et principale force de ce film : la plongée d’Amine dans Naplouse, superbe citée palestinienne à flanc de montagne. La vérité se trouve ici. Les hommes qui ont enrôlé sa femme comme bombe humaine se tapissent là, dans ces entrelacs de ruelles. Nous découvrirons que Siham était chrétienne, qu’elle n’a pas été enrôlée par des imams, qu’on ne lui a pas promis quelques vierges au Paradis en échange de son sacrifice. Son beau visage est affiché, telle une héroïne, sur tous les murs de Naplouse. Il y a une très belle et très intense scène où Amine rencontre un prêtre dans le secret d’une église orthodoxe. Le dialogue entre les deux hommes est brutal, les positions irréconciliables. Toute la substantifique moelle de L’Attentat réside dans cette séquence. Le désespoir d’être occupé, la colère, l’humiliation peuvent générer un terrorisme que l’on pourrait qualifier de « laïc », conçu hors de l’extrémisme musulman. Un attentat kamikaze accompli sans lavage de cerveau véritable – lequel processus est d’ailleurs parfois relaté au cinéma comme par exemple dans Making of du Tunisien Nouri Bouzid en 2006. Non, cet attentat est le produit absurde et sanguinaire de l’humiliation profonde et irréfragable de tout un peuple – le peuple palestinien. C’est l’acte incompréhensible d’une jeune femme vivant apparemment heureuse, éloignée de sa communauté, dans le bien-être, mais que cette humiliation habite pourtant.

Titre original : The Attack

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Durée : 105 mn


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