Il s’agit avant tout dans L’Art de séduire de passer derrière les images. Si Guy Mazarguil avoue son intérêt pour les psychologues et si le choix de cette profession permet évidemment de nombreux effets comiques, il se révèle surtout crucial en tant que déclencheur de situations et de la manière qu’a Jean-François de les aborder. Il est celui qui voit derrière les images, qui décrypte le discours comme malicieusement expliqué au détour de l’hilarante séquence de « paella/Papa est là ». L’apparition de deux femmes dans sa vie se donne alors comme un test d’apparence et jeu des sept erreurs. C’est dans sa propre vie et ses propres envies que Jean-François devrait tenter d’y voir clair.
Le fantasme réel ou la réalité fantasmée ?
Le choix ne peut évidemment aller de soi. D’un côté Jean-François désire une image qui n’existe pas (Hélène) et de l’autre une image vient s’imposer à lui (Estelle). Dans l’esprit de Jean-François, Hélène est belle, secrète, peut-être même inaccessible alors que, sa patiente depuis trois ans, il en connaît les plus intimes travers. La première apparition à l’écran de Julie Gayet a ainsi tout d’une belle image, celle de la star auratique : une porte s’ouvre et on la découvre de dos, en manteau trois-quarts et la chevelure luxuriante. Elle se sait attendue et peut alors s’offrir dans toute sa splendeur. Mais cette femme-là n’est qu’illusion et la découverte de la vraie Hélène ne sera qu’éprouvantes déceptions pour le psy aveuglé et force comique pour le spectateur (la description minutieuse de l’appartement et du quotidien d’Hélène est ainsi de haute volée). A l’inverse, Estelle – malgré la consonance des prénoms – se donne comme pure image, construite de toutes pièces pour se valoriser aux yeux du monde : volontaire, drôle, aguicheuse et disponible. Là où Hélène ne peut qu’échapper à Jean-François puisqu’elle n’est que vue de l’esprit, Estelle le poursuit jusqu’à l’explosion de son image et son ouverture à l’autre.
Loin du marivaudage amoureux, L’Art de séduire apparaît comme un pendant inversé du cinéma d’Emmanuel Mouret dont le charme initial s’amenuise de film en film. À une conception petit bourgeois et fondamentalement binaire des relations amoureuses – intéressante en soi car porteuse de comique, mais plutôt consternante sur le fonds – s’oppose ici la volonté de Mazarguil de confronter ses personnages aux limites de leurs désirs. Comme les têtes, les images tombent entraînant avec elles une rupture de ton aussi nécessaire que risquée. A l’humour jouissif de la première partie – le film est extrêmement (et extrêmement bien) écrit sans pour autant tomber dans une tradition parfois un peu trop littéraire du cinéma français – répond une mise à nue totale et définitive de la fin.
Le film comporte bien sûr quelques maladresses et la métaphore filée qui l’ordonne peut se faire un peu pesante – elle est cela dit porteuse d’une force et d’une beauté impressionnante dans certaines séquences pour un premier film –, mais sans jamais entacher l’ensemble. Le film dégage une sincérité et une tendresse, voire une certaine sensualité, trop rares qu’on ne peut qu’encourager. Drôle, touchant et inattendu, L’Art de séduire est porteur de beaucoup d’espoirs.