L’Âge des ténèbres

Article écrit par

Rêver… Si beau et si cruel à la fois car le retour à la réalité est d’autant plus dur que le rêve est doux. Projeté à Cannes (Sélection officielle, hors compétition) lors de la soirée de clôture, le dernier long-métrage du québécois Denys Arcand était très attendu. Pour L’âge des ténèbres, il n’a pas fait […]

Rêver… Si beau et si cruel à la fois car le retour à la réalité est d’autant plus dur que le rêve est doux.

Projeté à Cannes (Sélection officielle, hors compétition) lors de la soirée de clôture, le dernier long-métrage du québécois Denys Arcand était très attendu. Pour L’âge des ténèbres, il n’a pas fait appel à la bande d’acteurs fétiches de ses films Le Déclin de l’empire américain et Les Invasions barbares (même si certains font tout de même une apparition). Il se focalise sur un personnage unique (Jean-Marc Leblanc) et non plus sur un groupe d’amis, et s’appuie alors sur la personne de Marc Labrèche, novice dans le cinéma d’Arcand.

Jean-Marc travaille au sein de l’administration du gouvernement du Québec. Littéralement coincé entre un boulot qui l’ennuie et une famille qui l’ignore, il oscille entre sa vie cauchemardesque, mais bien réelle, et ses rêves dans lesquels il s’enfuit et se réfugie. Au creux de ceux-ci, il s’imagine tour à tour empereur romain, maître en arts martiaux, star du petit écran ou encore grand politicien. Mais peu importe le rôle qu’il endosse, il est toujours entouré de jolies femmes (une actrice, une journaliste et une collègue) qui le désirent, le comprennent et surtout l’écoutent.

Pour Jean-Marc, le Rêve est son repaire privilégié dans lequel il tombe amoureux de sa vie fantasmée. Mais peut-il véritablement vivre dans un rêve ? Peut-il s’enfermer dans ce monde inexistant ? Le réalisateur met ici en lumière le pouvoir immense des rêves, d’une seconde vie où tout est alors possible et sublimé. L’univers du songe laisse place aux fantasmes et aux délires les plus fous. Mais Denys Arcand nous met aussi en garde contre les dérives et les risques résultant d’une vie régie par l’imagination, cet enfermement dans un monde irréel. Il indique dès lors un tout autre chemin où la réalité, plutôt que subie, serait remaniée et transformée.

Mais dans L’âge des ténèbres, la réalité finit par rattraper le rêve, ou inversement, et Denys Arcand nous transporte alors dans un monde où l’univers médiéval côtoie un univers futuriste dans lequel règnent la violence et la maladie. Ce sentiment d’atemporalité renforce l’impression de flottement ressentie par notre héros. Ce dernier semble plongé en plein âge des ténèbres (maladie, violence, absurdité-s- du monde contemporain, emprise des nouvelles technologies…) et se retrouve face à un univers qui s’écroule.
Chute ou réveil d’un homme ? Car sous des airs défaitistes et de résignation, l’optimisme sommeille et s’éveille en la personne de Jean-Marc. Et derrière cette fable moderne, c’est tout un pan de la société actuelle qui est montrée du doigt par le réalisateur, ce nouveau Moyen-âge (expression paradoxale pour monde paradoxal) vers lequel notre société semble se précipiter et auquel elle aspirerait même parfois.

Pour les amoureux de Denys Arcand, sarcasmes et humour noir sont toujours au rendez-vous (la scène très drôle du rêve de Jean-Marc face à son cancer est un exemple parmi d’autres). Cependant, le film s’enlise bien vite dans une réalité trop éloignée du réel (comme se retrouver en plein Moyen-âge à la sortie d’un simple speed dating), laissant peu à peu le spectateur seul au bord de la route face à de nombreuses incompréhensions et de grands points d’interrogation.

Le spectateur n’arrive pas à suivre et à comprendre Denys Arcand dans un égarement qui manque, de temps à autre, cruellement de sens.

Titre original : L'Âge des ténèbres

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 108 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…