La Soif du Mal (Touch of Evil – Orson Welles, 1958)

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Modèle du genre. Chef-d´oeuvre incompris. Ultime film hollywoodien. De nombreux qualificatifs pour une oeuvre ciné qui n´en finit pas d´intriguer.

Toujours difficile de parler d’un monument du cinéma. Murnau, Lang, Ford et maintenant Welles. Que dire de plus qui n’ait jamais été dit ? Comment balancer des idées largement influencées par des théories enfumées, des mots saugrenus et surtout par des visages omniprésents… Prendre la place d’un Bazin ou d’un Daney ?
Oui, pourquoi pas. Garder son assurance et parler un peu de soi. Welles l’a toujours fait, et sa filmographie ainsi que ses créations artistiques (Photographie, Théâtre…) sont le reflet d’une existence placée sous le signe de la résistance. Le critique de cinéma se doit, sans doute, de vaincre sa timidité et d’aller de l’avant en signant quelques envolées personnelles, afin de mieux cerner le geste artistique de l’auteur.

La Soif du mal
débute par une séquence d’anthologie, célèbre, cultissime, qui reste à ce jour une des principales sources d’inspirations pour les profs d’université. Maîtrisée, grandiose, gonflée, cette ouverture intéresse car on ressent le génie prendre forme, aller de l’avant et batailler contre le formatage poussiéreux des polars à deux balles qui polluaient déjà les gares de routine de la fin des années 50. Welles, un jour, traversa un de ces endroits et en sortit avec un médiocre roman. Il avait besoin de fric, de beaucoup d’argent, afin de terminer un projet qui s’enlisait dans des gouffres trop kafkaïens. Avant de terminer L’Homme de la Mancha, il finit par convaincre son nouveau grand ami, Charlton Heston, de l’aider à peaufiner ce petit film policier aux accents sociaux. Ben Hur accepte et c’est tous les grands magnats des studios Hollywoodiens qui se prosternèrent aux pieds du colosse à la voix de velours, votre dévoué serviteur : Orson Welles.

La Soif du mal est une incompréhension quasi générale de la critique et du public, qui bouda le film. En Europe, on cria une fois de plus au chef d’œuvre, et on eut raison. Lorsque Hitchcock filma Psychose, le public découvrit une nouvelle race de tueurs au cinéma : le sérial-killer. Norman Bates tue sans raison apparente. Pire que cela, Vivian Leigh se fait assassiner pour des motifs qui sont à mille lieux du vol d’argent. Le public ne s’en remit jamais. Dans La Soif du Mal, et sans déflorer l’intrigue, Welles jette la logique aux orties et s’amuse aux détriments du spectateur, qui croit ce qu’il voit.

Le scénario se résume en deux mots : amours et trahisons. Welles s’en fiche éperdument. Cela se voit, cela s’entend (écoutez attentivement les bruits de couloirs, les soufflements de Dietrich et de Cotten, les craintes de Tamiroff), et c’est déjà du cinéma. Pourquoi ne pas prendre au sérieux ce film ? Welles a déjà tout raconté dans ses œuvres précédentes. Il veut aller de l’avant, bousculer les oreilles sensibles des spectateurs, ne plus les dorloter, ne plus leur pomper du fric sans leur avoir fait peur. De la nouveauté ou rien.

Titre original : Touch of Evil

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Durée : 111 mn


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