La question de l´héritage cinématographique à travers trois films français

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Il n’y a pas de honte à s’inspirer de la Nouvelle Vague ou de maîtres anciens. Mais comment gérer ce poids, ces inspirations marquées, cette culture de l’héritage cinématographique ? Réponse avec « Un Conte de Noël », « La Belle Personne » et « L’Heure d’Eté ».

Au sortir de 2008, après avoir fait le tri des films français les plus marquants de l’année, on constate que trois d’entre eux cultivent, chacun à leur manière, un héritage cinématographique. Un Conte de Noël d’Arnaud Desplechin, L’Heure d’été d’Olivier Assayas et La Belle personne de Christophe Honoré sont en effet trois films empreints de références et/ou d’influences assez marquées, et questionnent chacun le devenir de l’art cinématographique en regard de son propre passé. La question de l’héritage se pose aussi dans la diégèse, sous cette forme : est-il légitime ? L’héritage est-il à recevoir naturellement ?
 
Il y a déjà une présence de l’héritage dans la diégèse d’Un conte de Noël et de L’Heure d’été. Dans le premier, la greffe de la moelle osseuse est le symbole même du lien entre les générations : seul un fils ou un petit-fils pourra sauver Junon (Catherine Deneuve). Il y a don de vie, le moderne alimente l’ancien. Chez Assayas, l’héritage est le cœur du film : suite au décès de Hélène (Edith Scob), ses trois enfants se réunissent pour gérer les legs de la mère de famille. Il y a transmission d’objets, porteurs d’une vie antérieure, d’une mémoire, c’est l’ancien qui alimente le moderne. Un conte de Noël et L’Heure d’été sont deux films sur la famille, lieu de souvenirs et de successions. L’éclatement de la famille chez Assayas marche sur les traces d’une mondialisation exacerbée depuis plus d’un siècle, les traditions ne se forgent plus dans la reconnaissance ni des pairs ni des descendants, les aînés se heurtent à la sempiternelle évolution des valeurs, et les liens familiaux se dissipent, faiblissant au fil des années. Admirable, cette façon de représenter le mouvement par certaines séquences redondantes, qui semblent parfois bloquer le récit : les œuvres d’art défilent et saturent l’espace filmique, elles sont le moyen de peupler le récit de références. L’imposante cordialité est sidérante, elle donne à penser les rapports familiaux autrement que sur le ton de l’ambiguïté ou de la discorde, pénétrant plutôt le registre de la retenue.

 

  
 
Il y a en effet chez Desplechin une manière plus âpre d’aborder la famille, les disputes dynamitent le récit, les vérités éclatent comme des ballons qui claquent dans l’air d’un bruit sec. Il y a d’ailleurs parfois une grandeur et une monumentalité chez Arnaud Desplechin, dans une mise en scène qui tranche avec celle d’Olivier Assayas : lorsque l’un alimente une « virevolte » et façonne ses personnages dans un monde aérien, l’autre est beaucoup plus mesuré et terre-à-terre. L’Heure d’été est un film sur le mouvement façonné dans le paradoxe de l’immobilité, sorte d’inertie mouvante, d’insistance évolutive, une tautologie lyrique enrobée par ses formes picturales. Les références, chez Olivier Assayas, sont aussi à trouver du côté des cinéastes asiatiques, particulièrement Hou Hsiao Hsien, avec qui il partage des valeurs cinématographiques : attachement au temps qui passe, aux transferts entre générations, il y a toujours un enracinement mis en exergue. On perçoit les générations à travers les précédents dans L’Heure d’été, les références sont également dans la manière de mettre en scène ; la façon dont Olivier Assayas filme rappelle Le Voyage du ballon rouge de Hou Hsiao Hsien : les hors-champs symboliques entrent toujours dans la structuration des êtres au sein d’une famille, puis, par extension, au sein d’une société. L’Heure d’été se rapproche davantage du cinéma chinois par les thèmes traités que par la pure mise en scène : notamment le rapport à la nature perpétuel, le film débutant et se clôturant sur de la verdure.
 
On trouve chez Desplechin des références cinématographiques explicites : trois films sont présents à l’écran par trois mises en abîme. Les Dix commandements de Cécile B. De Mille, Drôle de frimousse de Stanley Donen et Songes d’une nuit d’été de William Dieterle sont vus à la télévision par les personnages du film, et renvoient toujours à la situation de ces derniers. L’utilisation des références permet d’épaissir la narration, en présentant des parallèles entre les fictions ; ainsi, Christophe Honoré, dans La Belle personne, multiplie les marques expressives des autres arts : musique (scène du juke-box), cinéma (Yaaba projeté à la cinémathèque). Un Conte de Noël et La Belle personne ont en commun d’affirmer leur légèreté malgré les lourdeurs référentielles. Les ancrages passéistes sont ainsi digérés, et confèrent au récit son intensité : c’est le cinéma français réformiste dans ce qu’il sait faire de mieux, là où le sentiment du cinéaste s’inscrit à l’écran dans le prisme d’un héritage artistique.

La Belle personne se réfère toujours à la Nouvelle Vague, comme dans les précédents films de Honoré, où on découvre Jean-Pierre Léaud en Louis Garrel et Anna Karina en Léa Seydoux. La décomposition temporelle donne une impression d’autant plus forte de ce voyage dans le passé (juke-box qui ne marche plus qu’en francs, la réclamation du droit de fumer dans les cafés, les locaux passéistes du lycée Molière…). Le risque étant de s’enfermer dans ses propre influences, de former un monde clos ultra-référencé et inaccessible au public par son étanchéité. Il y a toutefois des propos actuels, tenus avec une grande force dans chacun de ces trois films, et faisant l’aller-retour entre passé et présent : le culte du narcissisme, les amours de jeunesse trop vite désillusionnées, les frasques d’un président qui critiquait bien trop vivement La Princesse de Clèves, concernant La Belle personne ; ces relations éclatées et les échanges entre générations des sentiments et des objets (et la conséquence de ces transmissions) dans un monde trop mondialisé, à propos de L’Heure d’été ; enfin, l’omniprésence de la mort dans les conflits familiaux, les dépendances intergénérationnelles dans un monde désolidarisé, pour Un Conte de Noël.

  


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