La Première étoile

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La Première étoile est une comédie lumineuse qui slalome sur les singularités pour atteindre les hauteurs de l´universel. Le premier long-métrage de Lucien Jean-Baptiste s´apparente à une avalanche salvatrice dans un cinéma français qui peine à mettre en valeur ses héros noirs. Des héros comme les autres.

La vie de Jean-Gabriel est assez bien réglée : les petits boulots, le PMU, s’occuper un peu de ses trois enfants – Manon, Ludovic et Yann –, se reposer beaucoup sur son épouse Suzy, et surtout faire des promesses intenables. Mais rien ne décourage le bougre qui décide, cette fois-ci, d’emmener toute sa petite famille au ski. Et des Noirs au ski, ça promet !

D’abord, à cause de l’incongruité de l’aventure. Si Les Blancs ne savent pas sauter, les Noirs ne vont pas skier. Ils sont d’ailleurs les premiers à se railler au salon que fréquente régulièrement Bonne maman, la mère de Jean-Gabriel, incarnée par l’épatante Firmine Richard. La comédienne donne ses lettres de noblesse à la mère antillaise, phénomène tout aussi singulier que la mère juive au cinéma. Bonne maman prie très souvent, avec un groupe de fidèles amies, pour son bon à rien de fils qui l’a invitée au ski ; et elle compte bien en profiter. Reste à Jean-Gabriel le règlement des détails logistiques inhérents à un sport onéreux. Tous les moyens sont bons pour y parvenir. Même le chantage pour obliger Jojo, aficionado de tuning, à prêter la prunelle de ses yeux à Jean-Gabriel pour que celui-ci atteigne les sommets.

     
 

Ensuite, parce-que La Première étoile est une lucarne sur une communauté, ses réalités et les préjugés dont elle est victime. Dans la société antillaise, les femmes sont des "fanm potomitan". C’est-à-dire courageuses au point, semble-t-il, d’éclipser au quotidien leur alter ego masculin. Lucien Jean-Baptiste, co-auteur du scénario, évoque cette réalité que nul Antillais n’ignore sans ambages. Quand ces hommes se retrouvent d’ailleurs dans un couple mixte, comme c’est le cas de Jean-Gabriel, le décalage se veut plus criant : Suzy fait tout et son époux presque rien. Autre thème majeur : le racisme « instinctif » – le réalisateur a la subtilité de le décrire ainsi – dont est victime cette petite famille de Noirs qui débarque à la neige. Les premiers surpris sont les propriétaires de leur chalet, interprétés par Bernadette Lafont et Michel Jonasz. La première évoque franchement ses réticences au grand dam de son mari. La Première étoile est aussi une fiction d’une actualité saisissante. Il interroge en filigrane, comme la récente crise en Guadeloupe l’a révélé, la place des Antillais dans la société française. Surtout quand on les confond encore avec des immigrés africains. La Montagne de Jean Ferrat, une belle trouvaille musicale, fait savamment écho à la migration ultramarine vers la métropole : Ils quittent un à un le pays, pour s’en aller gagner leur vie/Loin de la terre où ils sont nés/Depuis longtemps qu’ils en rêvaient/De la ville et de ses secrets, du formica et du ciné.

Enfin, et c’est là la plus-value de l’œuvre de Lucien Jean-Baptiste, elle ne s’attarde pas sur des singularités mais raconte une histoire universelle. Celle d’un homme qui ne veut pas renoncer à ses rêves en devenant postier comme la plupart de ses compatriotes. Celle d’un père – d’autant plus qu’il n’a pas eu la chance de connaître le sien – soucieux de construire des « souvenirs » avec sa progéniture. Il est prêt à tout pour Manon, qui se demande pourquoi ses cheveux ne sont pas aussi lisses que ceux de ses copines ; pour Ludovic, qui ne rêve que de sa première étoile et pour Yann, qui se demande chaque jour ce que vaut son père.

La finesse du travail scénaristique, cette intrigue ponctuée des petits drames qui contribuent à donner du répondant à une comédie, une mise en scène attentive à la dramaturgie de chaque personnage et un merveilleux casting, font de La Première étoile une œuvre remarquable. Un premier film et Lucien Jean-Baptiste s’est érigé en pionnier d’un mouvement novateur dans le cinéma français, qui devrait enfin sortir les héros noirs de la caricature. Le cinéaste a produit un film qui parle aussi bien à ceux qui pourraient s’identifier à ses personnages qu’à tous les autres. La Première étoile a déjà reçu le Prix du jury et le Prix du public au festival international de comédie de l’Alpe d’Huez, de bonnes augures pour ce film 4 étoiles. Verra-t-on débarquer dans les prochains mois des peaux brunes dans les stations maculées ? La Première étoile serait alors pour ces dernières ce que fut Bienvenue chez les Ch’tis pour les ventes de maroilles.

Titre original : La première étoile

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Durée : 90 mn


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