Dix ans après lépidémie qui a décimé la quasi-totalité de la population humaine sur la planète, Caesar et sa tribu de singes génétiquement modifiés ont constitué une société primitive florissante dans la forêt aux alentours de San Francisco. Les dernières poches dhumains survivent quant à elles dans une organisation précaire, dans les vestiges des villes. A la recherche dénergie, ces derniers tentent de réactiver un barrage hydraulique en amont de la rivière, sur le territoire des singes dont ils ne soupçonnent pas le degré dévolution
Le reboot de Planet of the Apes (La planète des singes : Origines, 2011) était une bonne surprise, précisément parce quil ne prenait pas lexercice comme une facilité apte à engranger les pépettes de la nostalgie. Lintelligence du projet, notamment le fait de ne pas tenter démuler le film à twist des origines (?You maniacs ! You blew it up ! Damn you all to hell !?) pour reprendre une structure chronologique, y était pour beaucoup. Son utilisation de la perf cap et des millions de polygones virtuoses de magiciens du numérique, aussi, était au service dune caractérisation réelle de Caesar au lieu de ne servir que de prétexte technique dattraction de foire, comme trop souvent. Caesar traité comme le protagoniste du récit, sans jamais que la trajectoire dévie de ce programme au demeurant assez casse-gueule. On se trouvait de fait devant un film au parti-pris anti-spéciste fort, qui utilisait son pathos au profit dun discours dune radicalité rare pour un produit de studio.
Ce quen fait Matt Reeves est dautant plus intéressant. Sa propension à traiter avec sensibilité et surtout distance ses sujets avait déjà fait ses preuves sur Let Me In (2010), remake de Morse (2008) quon est en droit de trouver largement supérieur à son modèle poseur. Il applique, avec ses scénaristes dont deux sont à lorigine du sympathique The Relic (2007) , cette vision volontairement anti-climatique des choses. Alors que le premier film faisait monter sa sauce presque avec véhémence jusquà la première vocalisation de Caesar, pour montrer la révolte manichéenne sous un jour purement cathartique, celui-ci nappuie aucun de ses effets. En fait, le traitement des deux groupes de protagonistes ne sencombre pas de différencier ceux-ci sur la base de lespèce : on se trouve simplement témoins de la lutte entre deux groupes sociaux, assez semblables dans leurs préoccupations, assujettis à la même pyramide de Maslow. Le besoin de territoire, de ressources, de sécurité, et de stabilité politique, est présenté comme universel et non subordonné à lespèce. Partant de là, le concept même dhumanité sépanouit au-delà de la seule génétique.
Le parti-pris est très fort précisément dans le fait que les artisans du récit nous le présentent comme parfaitement naturel. Le changement de paradigme qui se dessine (la fin de lhumanité comme espèce dominante) nest finalement ici quun changement dordre géopolitique et ethnique. Cela passe par un principe à la simplicité biblique : mettre systématiquement en parallèle les jeux de pouvoirs, prises de positions idéologiques, spéculations et plans de part et dautre. Les intrigues sont placées ainsi sur le même plan dimportance dans la mesure où le discours ne penche pas en faveur de lune ou lautre faction, mais condamne ou glorifie des catégories de personnes et de comportements individuels : typiquement, ceux qui prônent le repli et le rejet de façon inconditionnelle sur des bases spécistes. Pour reprendre le mot de Doug Stanhope, ?on ne déteste pas une équipe, on déteste les supporters arrogants qui lencouragent jusquà la connarderie?, quil sagisse dans ce cas dun chimpanzé qui veut instaurer une dictature à des fins de vengeance personnelle contre toute la race des hommes, ou de messieurs à la gâchette beaucoup trop facile. Si les besoins sont universels, les motivations plus ou moins crapuleuses ne sont lapanage ni dune espèce ni de lautre, les premières esquisses dasservissement des humains se faisant par pure idéologie raciste. De même, les hommes de bien ne se reconnaissent pas à la quantité de pelage qui les couvre, mais à leurs seules actions et velléités.
Les rapports entre les personnages sont dailleurs suffisamment complexes pour être salués, dans la mesure où ils suivent cette trame complexe et politique, tout en personnalisant bien entendu les enjeux pour léconomie du récit. Après des années de World War Z divers, où les motivations du protagoniste sont généralement à la fois foncièrement égoïstes et minces comme un argument dAnna Gavalda, pouvoir contempler des altruismes sincères et des interactions multipolaires riches dans un blockbuster est une bouffée dair frais. La mise en scène relaie malignement ces enjeux interpersonnels Koba/Caesar/Blue Eyes et Dreyfus/Malcolm/Alexander en ménageant deux climax pour le coup très impressionnants dans leur mise en avant dune inéluctabilité, lors de lattaque de la colonie et de laffrontement en fin de troisième acte, où le leader de fait de chaque faction prend enfin toute sa place (bigre, ce ?You no ape? !).
Linterprétation, à la fois habitée et transparente, sert évidemment ce propos, même si la concentration de lessentiel du buzz autour du film sest faite sur Andy Serkis, ce qui nest pas très juste pour les animateurs de Weta qui sont pour autant dans le succès de Caesar que lacteur. Lensemble de ce qui concerne les singes est absolument incroyable de vérisme, et à cette manière calme et discrète que prend lensemble du projet, les effets entérinent un pas en avant en termes de rendus (pluie, vent, poussière, fourrures Attendez juste de voir lorang-outan Maurice) que peu verront précisément parce quil semble naturel. Ceci dit, Andy Serkis confirme définitivement son statut de Lon Chaney de lère numérique, et Caesar dans sa dimension de vieux lion de la révolution qui fait face aux ambitions de ses anciens lieutenants est peut-être lun des personnages les plus passionnants quon a vus depuis longtemps dans une fresque de cette envergure. En tous cas, le spectacle, avec son dosage bien pensé, sa sincérité et son projet thématique atypique, laisse augurer du meilleur pour latterrissage des astronautes égarés, en 2016