La Corde

Article écrit par

La Corde (Rope) est le premier film en couleurs d’Hitchcock. Autre particularité technique, il est réalisé uniquement en plans-séquences de dix minutes (soit la totalité du métrage pouvant être exposé dans un chargeur de caméra) ; autant parler d’une prouesse technique. « Avec La Corde, j’ai voulu jouer les acrobates. J’ai eu cette idée folle […]

La Corde (Rope) est le premier film en couleurs d’Hitchcock. Autre particularité technique, il est réalisé uniquement en plans-séquences de dix minutes (soit la totalité du métrage pouvant être exposé dans un chargeur de caméra) ; autant parler d’une prouesse technique. « Avec La Corde, j’ai voulu jouer les acrobates. J’ai eu cette idée folle de tourner le film en un seul plan. Réflexion faite, c’était absurde parce que je reniais mes propres théories sur le morcellement du film et des possibilités du montage pour raconter visuellement une histoire. Cependant, j’ai tourné ce film à la façon dont il était monté d’avance, les mouvements de la caméra et les mouvements des acteurs reconstituaient exactement ma façon habituelle de découper, c’est-à-dire que je maintenais le principe du changement de proportions des images par rapport à l’importance émotionnelle des moments donnés. » (Hitchcock in Hitchcock – Truffaut, édition Definitive, p. 150). En fait, le film inspire plus l’admiration pour le travail technique effectué qu’il ne suscite l’émotion.

L’histoire s’inspire du procès Leopold – Loeb, l’un des crimes les plus bizarres qui ait été commis, les deux hommes souhaitant témoigner de leur mépris envers la société en réalisant un crime gratuit et en s’arrogeant le droit de tuer. L’action est confinée à l’appartement de deux jeunes homosexuels. Ceux-ci, à la recherche de « sensations fortes », ont assassiné un camarade de classe et dissimulé le corps dans une malle qu’ils conservent… en plein milieu du salon ! Le soir même, ils invitent leurs amis chez eux, notamment leur professeur.

L’objectif du montage en plans-séquences était clairement de limiter la sphère d’action pour étouffer le spectateur. Plus l’intrigue progresse, moins les personnages se meuvent, plus la caméra se fait lente et insidieuse, comme si elle voulait nous plonger dans la dépravation morale des deux héros masculins.

Dans le film, le professeur Cadell (James Stewart, moyennement convaincant) est en quelque sorte l’instigateur du meurtre. Ses élèves ne font que mettre en œuvre ses théories assez barbares (quasi nietzschéennes ?) selon lesquelles le meurtre est le privilège de certains hommes supérieurs : « Le meurtre est ou devrait être un art ». « Le pouvoir de tuer peut être aussi satisfaisant que le pouvoir de créer ». On ne peut s’empêcher de penser à Nietzsche et à son concept de « l’homme supérieur » incarnant un nouvel ordre moral qui le place au-dessus de la masse « inférieure » de l’humanité, raccourci de la théorie nitzschéenne certes un peu schématique et simpliste, mais qui fait sens au regard des propos du professeur Cadell de La Corde.

Cependant, malgré tous ses discours, Cadell instaure une dichotomie entre la théorie et la pratique : s’il intellectualise le meurtre, il ne passe pas à l’acte, peut-être par manque de courage, ou bien tout simplement parce que le meurtre en lui-même lui fait horreur. Ses élèves eux n’ont pas ce problème. Mais comble de l’ironie, Cadell, quand il découvre l’horrible vérité, a un sursaut d’humanité qui s’apparente plus à de l’hypocrisie.

La Corde est donc un film assez cynique. Mais il est surtout très intéressant techniquement, et c’est par ce biais qu’il restera gravé dans nos mémoires. Car pour tout dire, on a connu Hitchcock plus en forme en matière de suspense et de rythme.

Titre original : Rope

Réalisateur :

Acteurs :

Année :

Genre :

Pays : ,

Durée : 80 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur décapante

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…