La chimère

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Des pilleurs de tombe et une narration décalée…

Chimère quand tu nous tiens

Jeune réalisatrice talentueuse, Alice Rohrwacher semble raconter dans son dernier film quelque chose qui lui tient à coeur et qui lui viendrait peut-être de sa jeunesse, voire de son enfance. Pourtant bien différent de ses précédents films, La chimère a du mal à convaincre. L’univers du film est toujours aussi foisonnant et riche mais on est bien loin du mystère émanant notamment de Corpo Celeste projeté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, ou Les Merveilles son deuxième long-métrage, sélectionné en compétition officielle à Cannes et qui a reçu le Grand Prix en 2014 ou encore son troisième film Heureux comme Lazzaro, lui aussi en compétition officielle à Cannes, et qui a reçu le Prix du Scénario en 2018. Sans doute en raison d’une faiblesse scénaristique ou d’un manque de justesse de certains acteurs, on reste un peu en dehors de cette histoire foutraque de pilleurs de tombes étrusques. Déjà le titre étonne puisque la chimère correspond à un être imaginaire mi-homme, mi-bête et, par extension, une chose idéalisée et inaccessible. Mais pour rester dans ce monde étrusque, sans doute a-t-telle songé à la Chimère d’Arezzo, une statue étrusque en bronze, découverte en 1553 à Arezzo, en Toscane au XVIème siècle lors du percement du sol pour bâtir la forteresse médicéenne. 

Briser le sacré

Chez Klapisch, chacun cherche son chat. Chez Rohrwacher, chacun cherche sa chimère sans jamais parvenir à la saisir. Pour certains, c’est un rêve d’argent facile, pour d’autres la quête d’un amour passé… De retour dans sa petite ville du bord de la mer Tyrrhénienne, l’archéologue anglais Arthur retrouve sa bande de tombaroli, des pilleurs de tombes étrusques et de merveilles archéologiques. Arthur a un don qu’il met au service de ses amis brigands : il ressent le vide. Le vide de la terre dans laquelle se trouvent les vestiges d’un monde passé. Le même vide qu’a laissé en lui le souvenir de son amour perdu, Beniamina. Ainsi raconté, le film ressemble à un conte mais il n’en a pas la légèreté. Par moment, la réalisatrice a trop tendance à insister sur la symbolique de ces pilleurs de tombes, comme pour accuser la société dans son ensemble qui, comme ces voleurs, ne respecte pas les traditions et les moeurs. Ces tombaroli ne se sentent pas obligés de respecter ces sépultures sacrées car quelque chose dans leur histoire ou dans leur passé récent les a éloignés de l’histoire du pays étrusque, cette région si belle et si mystérieuse de l’Italie. « Le monde leur appartient, déclare la réalisatrice dans le dossier de presse du film : ils peuvent pénétrer dans ces lieux secrets, ils peuvent briser des vases ou se les approprier. »

Les esprits vs le ressentiment

En effet, très vite, on sent qu’Alice Rohrwacher a l’envie de quitter le domaine du mystère et des symboles dans lequel elle excelle et dont ce film est aussi empli, notamment à travers la présence sempiternelle des morts et des esprits. Mais elle a tenu à apporter une signification plus sociale à cet opus qu’elle croit nécessaire de justifier dans le dossier de presse : « Fils d’agriculteurs, les membres de cette génération ont rejeté la terre et commencé à l’exploiter en déterrant ce qui y était dissimulé, profitant de l’ancien pour faire du profit. Ces gens, poussés par le besoin de gagner de l’argent autrement, sans hiérarchie et de manière illicite, avaient presque le sentiment que ces trouvailles leur appartenaient en tant qu’habitants de cette terre. » Cet opus, qu’elle dit avoir voulu tisser comme une tapisserie orientale, est finalement un patchwork de plusieurs genres qui aurait tendance à faire flop, malgré la belle photo d’Hélène Louvart, le montage de Nelly Quettier et la présence tutélaire d’Isabella Rossellini en grand-mère du cinéma, témoignage de ce que fut le néo-réalisme et en hommage au charisme de la carrière qu’elle a faite à l’international.

 

 

Titre original : La chimera

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Durée : 130 mn


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