La chance de ma vie

Article écrit par

Tout ce que vous avez voulu savoir sur une comédie romantique ratée.

Une comédie réussie est avant tout la concomitance de tout un ensemble de critères à valider. Chaque aspect de fabrication nécessite une concentration folle et un travail d’orfèvre, un simple détail peut enrayer une production. Profitons de la nouvelle année pour expliquer de manière ludique et pédagogique ces différents critères indispensables à l’élaboration d’une bonne comédie par l’intermédiaire de La chance de ma vie pour constater pourquoi ce film est un ratage complet généralisé.

Le point de départ de nombreuses comédies s’articule autour d’un concept. Dans ce film aux allures romantiques, l’histoire d’amour concerne Joanna (Virginie Efira) et Julien (François-Xavier Demaison), ici porteur du concept. En effet, ce conseiller conjugal a un souci gênant, il génère malchance et chutes incontrôlées à ses conjointes, ce qui compliquera son idylle avec sa nouvelle conquête, la jolie designer automobile Joanna. Un concept pas inintéressant et porteur d’espoir comique puisqu’il permet d’imaginer toute sorte de situations loufoques supposément drôles. Malheureusement, un simple postulat de départ ne suffit pas, il faut sans cesse l’enrichir pour trouver en permanence de nouvelles limites à dépasser. Dans ce film, l’histoire se centre exclusivement sur le rapport entre la poisse et les personnages principaux ne franchissant jamais de nouveaux horizons. Aucune piste n’est développée sur leur relation avec les personnages secondaires ou leur évolution intérieure laissant la place à une décevante simplicité.

Les personnages secondaires prennent d’ailleurs une place prépondérante dans une comédie, notamment dans le genre particulier de la comédie romantique. Ils permettent d’oublier quelques instants l’intrigue principale en offrant des ouvertures et de nouvelles problématiques dans le récit. Ils sont surtout porteurs de gags ou de dialogues percutants et drôles. En général, si un personnage secondaire ne possède aucune réplique marquante, il devient inutile dans la narration et n’existe pas. La chance de ma vie abandonne lâchement ses personnages secondaires en ne leur offrant ni développement et évolution (Thomas N’Gijol), ni répliques percutantes (Raphael Personnaz), ni d’insertion réelle dans l’histoire (Elie Semoun). Ces trois personnages auraient pu apporter au récit s’ils avaient été dotés d’une véritable place dans le récit. Or, ils peuvent étonnement disparaitre du film sans que le récit n’en soit bouleversé ni même chahuté.

Les relations entre ses personnages sont évidemment des éléments clés à la bonne tenue d’une comédie. Les personnages principaux doivent supporter le poids de l’attention comique tout au long du film et utiliser leur complicité pour sublimer les dialogues. Virgnie Efira est certes pétillante et sexy à l’écran mais n’a pas encore les épaules assez solides pour tenir une comédie sans personnages secondaires consistants, sa relation avec François-Xavier Demaison, peu à l’aise également, est relativement bancale. Offrir les premiers rôles à une ancienne animatrice de télévision et un financier-comique semble un pari risqué. De plus, le casting apporte deux autres comiques à la carrière cinématographique encore jeune, Thomas N’Gijol et Elie Semoun qui prouve par ailleurs qu’on peut être un excellent comique sans forcément être bon comédien. Un assemblage de comiques, habitués à faire rire seuls, dans l’espoir de déclencher des rires n’est pas forcément une idée pertinente car la clé ne réside pas dans le potentiel comique des différents interprètes mais bien de leurs interactions. Le personnage d’Elie Semoun est sans cesse en décalage de rythme avec ses interlocuteurs et part la plupart du temps en roue libre, ce qui le décrédibilise, alors que celui de Thomas N’Gijol est intéressant mais monocorde et mal utilisé puisque sans évolution ni développement.

Bien sûr les comédiens ont besoin d’être dirigé de manière à ce qu’ils soient toujours dans le rythme de la scène qu’ils tournent. Une comédie sentimentale est un juste équilibre entre scènes comiques et scènes romantiques lui offrant des variations rythmiques enrichissantes. Dans La chance de ma vie, la romance est à peine effleurée et peu scénarisée. Le film se concentre d’avantage sur les déboires de ces deux personnages principaux offrant cruellement de longues séquences ennuyeuses sans rire et sans émotion. Elles diminuent l’électrocardiogramme du film et limitent fatalement la concentration du spectateur. Une comédie doit sans cesse franchir des paliers et ne doit jamais prendre le risque de stagner ni même de régresser son rythme. Par le montage et la réalisation, il est possible d’impulser une énergie progressive, ce qui n’est pas le cas de La Chance de ma vie, dont la mise en scène des blagues trop vague perd l’efficacité recherchée. 

Si les Américains produisent un nombre conséquent de comédies réussies, ils le doivent aussi par leur méthode d’écriture et l’utilisation de pool d’auteurs spécialisés dans chaque compartiment de l’écriture. Une technique peu constatée en France mais dont l’utilisation a permis la découverte de la comédie romantique française la plus drôle et populaire de l’année écoulée, L’arnacoeur qui valide un par un chaque élément nécessaire au succès d’un film de ce genre, de l’utilisation géniale de ses personnages secondaires au rythme crescendo de la narration de son récit et de ses scènes comiques. Une comparaison fatale à La chance de ma vie qui, outre un manque permanent d’inventivité scénaristique, ne réunit aucun atout.

Titre original : La Chance de ma vie

Réalisateur :

Acteurs : , , ,

Année :

Genre :

Durée : 97 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…