Joint Security Area

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Alors que les Corées sont au centre de tous les regards, quelle meilleure occasion pour une première sortie française du premier chef-d’œuvre de Park Chan-wook ?

Alors que ces dernières semaines, les négociations autour de la dénucléarisation de la péninsule coréenne vont bon train, Joint Security Area, le premier succès de Park Chan-wook consacré à la frontière entre les deux Corées, débarque pour la première fois dans les salles françaises.

La vérité, produit d’une co-construction idéologique

Le cas est des plus complexes pour le major Sophie Jean (Lee Young-ae) : enquêtrice coréo-suisse dépêchée par les Nations-Unies à la frontière entre les deux Corées, elle doit résoudre une fusillade survenue côté Nord, au terme de laquelle deux soldats nord-coréens sont morts, un autre blessé, tandis qu’un Sud-Coréen a fui de son côté de la frontière. Bien entendu, les versions que les survivants tiennent se contredisent. Lee (Lee Byung-hun), le fugitif sud-coréen, raconte avoir été enlevé par l’armée d’en face ; quant à Oh (Song Kan-ho), le rescapé nord-coréen, il explique à l’inverse que ce sont les Sud-Coréens qui ont mené un raid de ce côté de la frontière !
Sans mentionner ouvertement l’inspiration, JSA s’inscrit dans l’héritage de Rashomon (1950). Comme Akira Kurosawa, Park Chan-wook s’émerveille des prouesses de la narration humaine. La vérité lui importe peu. Ce qui compte, c’est le processus de construction d’un récit. De la même manière que Rashomon, JSA met en images les mots des témoins. Les deux versions officielles ne nous apprennent somme toute que peu de choses de ce qui s’est réellement passé ce soir-là ; en revanche, elles regorgent d’enseignements concernant la manière dont l’idéologie nationaliste structure les esprits. Aussi bien Lee que Oh satisfont leurs gouvernements respectifs en proposant un récit qui flatte leur armée et discrédite celle d’en face.
Le seul témoin « objectif » de cette nuit, que l’on aperçoit dans les premiers plans du film, c’est un hibou. Symbole de sagesse, mais aussi d’inaccessibilité de la vérité. Semblable au travail de l’enquêtrice, le cinéma ne peut percer à jour la Vérité absolue ; il ne peut qu’en confronter des versions et interroger la crédibilité des témoins, et surtout, guetter leurs non-dits…

Humain avant d’être soldat

Aussi la mise en scène de Park Chan-wook virevolte dans tous les sens. Puisque l’affaire échappe au sens commun, il faut essayer d’autres tactiques, d’autres modes de représentation. Sur le plan du montage, cela donne un récit non-linéaire : l’enquête au présent de Sophie Jean se heurte à des flash-backs, dont on apprend progressivement à discerner le faux du vrai. Quant au cadrage, Park Chan-wook innove à chaque séquence en cherchant à trouver l’angle le plus humain possible – alors que précisément, les belligérants tentent systématiquement de nier l’humanité de leur adversaire. Ce qui offre des séquences amusantes, comme celle où Oh et Lee, de faction chacun d’un côté de la ligne de démarcation – un simple trait au sol – s’amusent à se cracher sur leurs chaussures quand personne ne les regarde. Mais cette même bande que les soldats se plaisent à détourner par le jeu prend des dimensions beaucoup plus graves, lorsque filmée en zénithale, elle se révèle instrument de séparation d’un même territoire, d’un même territoire, de deux amis.
Là encore, c’est la construction de la frontière et du territoire, politiquement et cinématographiquement, qui intéresse Park Chan-wook. Quoique Sud-Coréen, le cinéaste ne se positionne pas sur le conflit – en tout cas dans JSA. Lui préfère observer les processus militaro-politiques qui aboutissent à la désunion ; et comme tout processus, on aurait pu l’inverser. Cette possibilité de faire autrement, qui nourrit de manière utopique les flash-backs de JSA, rend proprement tragique la séquence finale de la fusillade, que l’on découvre enfin de manière objective. Tragique, parce qu’une forme moderne du Destin – le nationalisme belliciste – brise des existences humaines qui s’étaient retrouvées par-delà les frontières. Là se tient tout le drame humain.

Titre original : Gongdong gyeongbi guyeok JSA

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Durée : 110 mn


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