JCVD

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Ne pas croire que JCVD soit réservé aux fans du kickeur belge : projet original et décalé, mix de genre improbable, réflexion angoissée sur le star-system, JCVD est tout cela à la fois. Et même bien plus.

Les années passées permettent de jeter avec une bienveillance naturelle un regard dans le rétroviseur. Non, Jean-Claude Van Damme n’est pas une action-star au rabais. Comme les rivaux de sa génération – de Stallone à Seagal en passant par un autre grand « S », Schwarzenegger -, le spécialiste du grand écart facial a connu à ses débuts les séries Z fauchées, et les séries B vaguement divertissantes. Avant d’accéder à des affiches plus prestigieuses, certes toujours dans le même registre, mais dont certaines sont passées à la postérité.

Qui ne s’est pas loué, un soir de repos, le sympathique Universal Soldier, le très drôle Double Impact ou le jouissif Chasse à l’homme de John Woo ? On ne peut nier le pouvoir de fascination qu’exerce « jicividi », un self-made man qui a su convaincre des producteurs en levant la jambe, et imposer une présence cinégénique sans jamais s’imaginer plus haut qu’il ne le pouvait. Van Damme n’a pas de vélléités de réalisateur, ou d’homme politique. Il ne s’est pas non plus inventé un personnage d’artiste martial mystique. Jean-Claude, c’est juste un type qui a trouvé sa voie dans le karaté, avant de rêver à l’étoile qu’il graverait un jour sur le bitume d’Hollywood Boulevard.

Mais comme dans toutes les bonnes histoires de réussite, l’arrivée au sommet est souvent annonciatrice d’une chute irrémédiable. Perdu dans la coke et les excès de conquêtes féminines, Van Damme n’a pas vu arriver le mur, et est rentré dedans avec entrain, se ridiculisant sans filet aux yeux du monde, dans une suite d’interviews surréalistes et de déclarations indéchiffrables. D’acteur charismatique (même si objectivement limité), JCVD est devenu une caricature de bodybuilder simplet et déconnecté du monde réel, à l’insu de son plein gré, pourrait-on dire. La sortie en DVD de plusieurs productions nanardeuses (The Hard Corps, The Order, Derailed, et d’autres encore…) où l’ex-star errait comme une âme en peine, ressemblait alors à un nécessaire chemin de croix. Un premier pas vers la rédemption d’un acteur revenu de tout ?

Une reconversion synonyme de retour au réel

Cette lecture expliquerait en tous cas la mise en chantier d’un long-métrage comme JCVD. Un film-concept qui surfe sur l’idée, mal exploitée, de Jean-Philippe, long-métrage replaçant là aussi une icône publique (Johnny Hallyday) dans le champs de la réalité. Jean-Claude Van Damme y joue donc son propre rôle, celui d’une star en pleine tourmente, au bord de la ruine, et qui revient dans sa Belgique natale pour voir ses parents. C’est le comédien lui-même qui initie le projet, conscient qu’à 47 ans, son salut viendra d’une reconversion en acteur « dramatique ». Il n’aurait pu trouver réalisateur plus iconoclaste que Mabrouk El Mechri pour illustrer sa remise en question. Le cinéaste français n’en est qu’à son deuxième film, après Virgil, mais il possède déjà une patte de syliste frondeur et un univers qui n’appartiennent qu’à lui. Grand fan du « Muscles from Brussels », El Mechri a conçu JCVD entièrement autour de son acteur principal, sans pour autant faire de lui l’unique protagoniste important de l’histoire. De son propre aveu, le réalisateur a voulu ramener l’icône à un statut de simple comédien, sans passe-droit ni traitement de faveur. Une méthode intelligente, puisque c’est exactement de cela que JCVD parle : pris au piège dans une banque, Van Damme est manipulé par des braqueurs instables, et remis à sa place sous la menace d’une arme.

S’il n’est qu’un « événement » dans ce hold-up imaginé comme un hommage direct à Un après-midi de chien, Jean-Claude Van Damme est malgré tout au centre de toutes les séquences annexes, qui suivent ou précédent narrativement l’attaque du bureau de Poste (décidément à l’honneur cette année, après Bienvenue chez les Ch’tis...). Confronté à la répartie d’une chauffeuse de taxi irrascible, blasé par son entrevue avec son agent (qui ne lui propose que des tournages au rabais dans des pays de l’Est…), isolé dans un tribunal alors qu’on lui retire la garde de sa fille, Van Varenberg, l’homme derrière les paillettes, existe plus que jamais. Alors qu’on ne le voit depuis quinze ans qu’à travers un prisme sacrément déformant, le comédien ressurgit là où on ne l’attendait pas, en incarnant avec force le plus simple des rôles qu’il pouvait imaginer : lui, à l’instant présent de sa vie, embarqué dans une aventure ubuesque, à la fois réelle et fantasmée.

Le nouveau Jean-Claude

Passionnant, le film l’est à plusieurs niveaux : reprenant toutes les recettes du chef d’oeuvre de Sydney Lumet (y compris la coupe de cheveux de John Savage !), Mabrouk El Mechri impose à son film une teneur éminemment fictionnelle, alors qu’en parallèle (et en flash-backs), la vie de Van Damme nous est exposée dans sa forme la plus directe et réaliste (voir l’entrevue avec l’agent, filmée comme un making-of de dvd), la mise en abîme étant poussée à son paroxysme lorsqu’apparaissent les parents de l’acteur, incarnés non pas par ses réels géniteurs…mais par des acteurs. Le mélange des genres donne l’impression d’évoluer dans une dimension parallèle, une démarche accentuée par le traitement visuel radical imposé au film. Monstrueusement contrastée, au point de tendre vers le noir et blanc, blindée de filtres et cadrages obliques, l’image de JCVD illustre littéralement la confusion dans laquelle le personnage/comédien est plongé (l’affiche du film est à ce titre exemplaire).

De tels parti-pris, acrobatiques et pourtant parfaitement assumés, ne plairont pas à tout le monde. JCVD n’est pas une gaudriole tirant parti de la détresse de son premier rôle. Drôle, le film l’est (François Damien, irrésistible comédien belge vu dans Dikkenek et OSS 117, est du voyage), et il n’hésite pas à malmener Jean-Claude Van Damme avec tendresse. L’idée n’est pas de se moquer, mais de sublimer les errances d’une star qui se découvre acteur. Vous n’y croyez pas ? Attendez de voir ce monologue face caméra, littéralement « out of this world », où le personnage fusionne carrément avec son interprète au point de mettre mal à l’aise. La scène ressemble au film dans son ensemble : inattendue, casse-gueule, tragiquement drôle, in fine réjouissante. Ce n’est sûrement pas tous les jours qu’on assiste à une auto-analyse déchirante maquillée en comédie policière surfiltrée.

Titre original : JCVD

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Durée : 90 mn


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