Interview de Vladimir Cosma

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L’honneur et le plaisir de rencontrer un « grand maître » de la musique de films.

Plus de cinquante ans de carrière, des thèmes musicaux qui sont aussi célèbres que les films pour lesquels ils ont été composés,  Vladimir Cosma incarne avec une réelle modestie une belle et grande partie de l’histoire du cinéma français. Ses trois concerts du 15 au 17 octobre au Grand Rex nous donnent l’occasion de revivre notre rencontre avec le maestro.

 

Même si vous avez visité différents genres cinématographiques, une grande partie de vos œuvres est dédiée à la comédie. Avec Henry Mancini, vous êtes l’un des très rares grands compositeurs à avoir emprunté une telle direction. Comment expliquez–vous que si peu de musiciens se soient réellement dirigés vers ce genre ?

Écoutez, d’abord, je veux vous dire que je n’ai pas choisie cette direction, c’est la direction qui m’a choisie, en quelque sorte. En effet, j’ai eu la chance de commencer à travailler avec Yves Robert, un des grands maîtres de la comédie. C’était pour Alexandre le bienheureux. Puis après quelques films, où j’ai travaillé presque exclusivement pour lui, est venu Le grand blond avec une chaussure noire.. Cela a était un énorme succès public, pour le film et pour la musique en même temps. A partir de ce moment là, j’ai été catalogué comme un grand compositeur de comédie. Cela signifie que l’on me proposait pour les metteurs en scène spécialisés dans la comédie : Gérard Oury, Edouard Molinaro… Je n’ai pas cherché à m’imposer dans un genre de musique qui est très difficile. Vous me faîtes honneur en me citant à coté d’Henry Mancini que j’apprécie énormément. Car c’est très difficile. Musicalement de travailler pou la comédie. Car, si vous regardez le répertoire mondial musical, vous trouverez beaucoup de musiciens, de grands compositeurs de musique dramatique, de suspens, d’amour, mais de la musique comique ; c’est très rare. Et pendant des années, je rêvais de faire autre chose que des comédies. C’est pour cette raison que j’ai commencé à travailler pour la télévision, j’ai fait Les aventures de Tom Sawyer, Les jeunes filles d’après Montherlant, où les sujets étaient plus littéraires, des séries comme L’amour en Héritage. Ceci dit, je ne regrette pas d’avoir été catalogué pendant des années comme musicien de comédie, car après des années j’ai été appelé par les réalisateurs comme Yves Boisset pour Dupont La joie, ou Jean-Jacques Beinex pour Diva.

Une grande partie du plaisir que l’on ressent à écouter ou à réécouter vos compositions provient d’un sentiment de liberté qui s’en dégage. La comédie n’est-elle pas finalement un genre où l’on peut en tant que compositeur se permettre plus d’initiatives, croiser plusieurs registres musicaux?

Oui, bien sur. C’est le fait de ne pas rester dans un seul mode majeur qui permet de varier la palette musicale. Mes musiques sont traitées sur un mode mineur, ce qui est assez rare pour la comédie. Dans des tonalités qui sont d’habitude réservées aux films tristes, aux films sentimentaux. Hors, mes musiques les plus connues sont en mode mineur, ce qui donne de la tendresse, de l’humanité aux personnages. Même dans Les aventures de Rabi Jacob, le thème est moitié mineur moitié majeur. Il y a une espèce de dualité, d’humanité qu’il n’y aurait pas avec une musique caricaturale. Dans ma musique, il n’y a jamais de caricature, jamais de pastiche. J’ai toujours pensé que le jeu des acteurs suffisaient pour rendre drôle une comédie. Inutile d’en rajouter avec une musique qui soulignerait le gag.

Dans l’une vos interviews, accordée à France Musique, vous évoquez le conseil que vous avez reçu d’un de vos maîtres de musique, en Roumanie. Il disait : « Un musicien ne doit pas penser à lui, mais à son public ». En tant que compositeur de musique de films, vous avez ajouté un degré supplémentaire d’humilité en étant à l’écoute des attentes des metteurs en scène ?

Je pensais surtout à servir le film, la commande. Mais cela ne veut pas dire devenir l’esclave du film. Je ne voulais pas raconter la même histoire que ce que raconte le film. Je cherchais donc toujours à trouver une idée un peu décalée. Exemple, si on se retrouve en Roumanie, dans un mariage et qu’on entend une musique de flûtes de pan, il n’y a pas de décalage. C’est une simple illustration. Mais, si cette musique vous la placez dans un aéroport à l’arrivée de Pierre Richard, on va se demander pourquoi une telle musique à ce moment là. Dans Le grand blond avec une chaussure noire, c’était mon idée de placer cette musique décalée. Au départ, la demande du scénariste était de mettre une musique sous forme d’un pastiche de James Bond, puisque Pierre Richard est un faux espion. Je me suis dit un espion n’est pas forcement anglo-saxon, un espion peut venir du froid, de Russie, de Roumanie. C’est à partir de là que j’ai pensé à la flûte de pan, au czimbalum. De même pour un Éléphant ça trompe énormément, une des premières scènes où vous avez Jean Rochefort qui regarde Annie Duperey alors dont la jupe se soulève. J’ai fait une musique avec des bruits de vague, des mouettes, comme si on était au bord de la mer. Mon idée de suggérer le paradis sur terre. Jean Rochefort rencontrait la femme de ses rêves. Yves Robert a beaucoup aimé cette idée, mais le lendemain tandis qu’il travaillait sur le mixage du film, il me téléphone et me dit : «  Ta musque est très belle, mais je suis obligé d’enlever le bruit des oiseaux et de la mer ». Je lui demande pourquoi, Il me répond que c’est à cause des gens du mixage qui me disent que l’on croirait entendre un bruit de chasse d’eau, car il n’y pas la mer à l’image, on se trouve dans un parking. .Yves a voulu enlever la musique, car les spectateurs ne comprendront pas A ce moment j’étais un peu désespéré. Puis j’ai appris que dans deux jours on organisait une projection des premières scènes du film, avec des gens de la Gaumont et une cinquantaine de personnes. J’ai dit à Yves, laissons la musique ainsi, puis en fonction des réactions de ce public on gardera ou non le thème musical. Il a accepté, ce dont je lui suis reconnaissant. Dès que la salle a vu la scène, elle s’est éclatée de rire.

 

 

Cela vous est-il arrivé d’intervenir sur le tournage (comme Ennio Morricone) ? Ou en cours de projet ?

 Ce n’est pas moi qui ai eu cette idée mais les metteurs en scène. On parlait d’un Éléphant ça trompe énormément, Yves Robert a souhaité que la musique soit diffusée pendant le tournage du film, pour que Pierre Richard adapte sa démarche selon le rythme de la musique. De même pour le slow que danse Sophie Marceau dans La boum. La danse de Louis De Funès dans Les aventures de Rabi Jacob a été écrite avant le tournage. L’acteur a répété cette danse. Puis la musique a été jouée sur le tournage.

Yves Robert, Francis Veber, on peut vraiment parler de fidélité envers les réalisateurs. Au-delà de la notion d’amitié, ce type de relation vous a-t-il permis d’avoir «une sorte de carte blanche» ?

 Tout d’abord, la notion d’amitié, dans un univers professionnel comme celui du cinéma, ca ne rentre pas forcement en ligne de compte. En, effet, rien n’est jamais acquis dans le cinéma. Un metteur en scène qui n’aime pas votre musique peut la rejeter. En ce qui concerne ce que l’on peut appeler « une carte blanche », cela dépend du metteur en scène. Yves Robert est un réalisateur qui m’a été fidèle dès son premier film, et cela a continué durant toute sa carrière. Gérad Oury, ca n’était pas été le cas, après Rabi Jacob qui a été un succès autant pour le film que pour la musique, il ne ma pas appelé pour son film suivant. On s’est retrouvé pour Le coup du parapluie. Claude Pinoteau : on a eu la même fidélité qu’avec Yves Robert.

 

Fidélité aux réalisateurs, mais aussi à un comédien : Pierre Richard. Difficile de ne pas penser que vos compositions (Le grand Blond avec une chaussure noire, Le distrait….) n’ont pas contribué à définir en partie son personnage de cinéma. Je pense au rythme de sa démarche, son côté imprévisible.

 Dans la filmographie de Pierre Richard, j’ai composé la musique de la quasi-totalité de ses plus gros succès ; 95 % de ses réussites. Que ce soit ses propres films en tant que réalisateur ou ceux tournés avec Zidi, par exemple. Peut –être est-ce un simple hasard. (Il sourit) Après Le Grand blond avec une chaussure noire, beaucoup de metteurs en scènes ont voulu garder cette musique pour accompagner le personnage. Comme pour Laurel et Hardy, dont l’arrivée à l’écran était accompagnée par une musique identique. Un espèce de leitmotiv. Mais Pierre, n’a pas voulu. Donc j’ai chaque fois changé la musique, sauf, bien sur pour Le Retour du grand Blond.

Pour les trois soirées que vous allez donner au Grand Rex en Avril (les 24,25 et 26), quelles nouveautés allez –vous apporter ?

 Il y aura des nouveautés à mon programme, des pièces que je n’ai jamais interpréter en concert. La musique d’une série qui a eu un énorme succès, Les mondes engloutis, je vais la jouer pour la première fois. Il y a d’autres œuvres que je vais mettre en scène différemment. Pour Rabi Jacob, je vais tenter d’avoir les danseurs originaux. Il va y avoir de nouveaux solistes également. Vous savez, je n’aime pas tromper mon public. Je ne suis pas là pour me faire plaisir, je sais que les gens qui viennent me voir veulent entendre Rabi Jacob, La boum… Une fois que j’ai placé ces incontournables ; il ne me reste pas beaucoup de place. Mais il y a toujours des nouveautés. De plus je fais évoluer les orchestrations, les solistes.

Le temps de l’entretien touche à sa fin, puisque Vladimir est attendu pour une interview filmée. Mais, le compositeur qui semble avoir apprécié notre rencontre ; continu de se livrer. Et conclue :

On a parlé de Louis De Funès, Pierre Richard, mais on aurait pu parler de Coluche, Belmondo. Dans la comédie je me suis plus senti inspiré par un acteur, par un personnage que par un scénario.

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