Haïti Chérie

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Derrière le sable fin et les palmiers, à l´ombre de la scène médiatique et politique, Claudio Del Punta braque les projecteurs sur les immigrés haïtiens de République Dominicaine. Une fiction troublante parmi les quelques documentaires qui existent déjà sur le sujet.

République Dominicaine. Loin des plages enchanteresses et des hôtels clubs : le « batey » (champs de canne à sucre en créole). Dans l’obscurité, Magdaleine et Jean-Baptiste endurent le silence. Le jour se lève enfin. Ils s’apprêtent à enterrer leur nouveau-né, victime de sous-alimentation. Sans aucune parole, la puissance du film s’installe dans un choc. Celui de la mort d’un enfant. Pour ses parents, deux jeunes haïtiens, le drame étouffe définitivement tout espoir de vivre un jour en paix en terre dominicaine.

Magdaleine et Jean-Baptiste ne pourront pas enterrer leur enfant. Le garde de la plantation ne tolère aucune absence en pleine récolte. Il ne cèdera pas. L’aurore est des plus cruelles, et pourtant aucun cri larmoyant n’explose. Perchée sur l’épaule, la caméra s’affole à la place des acteurs. Résigné, dépossédé, épuisé, le couple retient sa colère. Ernesto, médecin dominicain et militant pour les droits des travailleurs haïtiens, représente alors leur unique issue. Décidés à fuir le pays qui ne les a jamais véritablement accueillis, les jeunes gens, accompagnés de Pierre, adolescent orphelin, s’engagent dans une fuite désespérée. Dans un retour vers Haïti, vers la misère et la violence qu’ils avaient autrefois quittées.

Haïti Chérie est presque le second hymne d’Haïti. Chanson populaire, elle symbolise la fierté du peuple haïtien et bien plus encore, la nostalgie de ceux qui l’ont fui. En baptisant son film « Haïti chérie », Claudio Del Punta revient sur la douleur de ses exilés, qui, passés la frontière afin d’échapper à la violence et à la pauvreté, se sont jetés dans les bras d’un esclavagisme moderne. Malgré les tonalités parfois implorantes des chants, les images ne versent jamais dans le pathos. Avec distance et pudeur, Claudio Del Punta suit l’évolution de ses héros. La participation d’acteurs non professionnels, natifs d’Haïti, et pour la plupart travailleurs dans les plantations dominicaines, provoque instantanément le réalisme et la spontanéité du film.

Yeraini Cuevas, qui interprète Magdaleine, anime son personnage d’une troublante émotion. Sa jeunesse, l’interruption subite de sa maternité, ainsi que la douleur qu’elle dissimule dans chacun de ses gestes, rendent le personnage aussi mature que fragile. Les silences et les rencontres, les obstacles et les victoires, rythment l’angoisse existentielle dans laquelle sont continuellement plongés les protagonistes. « La plantation dévore tout le monde », dira l’un d’entre eux. Tandis que le jeune Jean-Baptiste se refuse à rentrer chez lui « les mains vides », et la virilité abîmée. Au fur et à mesure de leur fugue, une indécision quasi schizophrénique s’empare des âmes perdues de Magdaleine, Jean-Baptiste et Pierre.

Auteur de plusieurs documentaires, Claudio Del Punta a tourné ses premiers métrages en Italie. Les portraits de différents protagonistes (un femme séropositive, un pianiste…) lui ont permis de dépeindre avec justesse la société italienne. Haïti Chérie s’ajoute à l’intérêt récent de ses œuvres pour les îles Caraïbes. Indigné par l’horreur et le non respect des droits de l’Homme en République Dominicaine, le réalisateur a choisi de mettre son expérience du réel au service du quasi docu-fiction Haïti Chérie. Avoir préféré tourner une fiction ultra réaliste, une tragédie humaine sur fond de désenchantement politique, plutôt qu’un énième documentaire, réaffirme la volonté du réalisateur de faire du cinéma certes engagé, mais jamais manipulateur.

Titre original : Haïti chérie

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Durée : 99 mn


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