Après le revenge movie mélancolique et contemplatif qu’était Blue Ruin (2014), Jeremy Saulnier passe avec Green Room au survival énervé, ramassé sur les deux enjeux constitutifs du film de siège : les assiégés veulent sortir pour survivre, les assaillants veulent entrer pour tuer. Impossible de contredire le réalisateur quand il cite Les Chiens de Paille (Sam Peckinpah, 1971) au rang de ses références cinématographiques, tant il est vrai que ses néo-nazis se rapprochent des rednecks bas du front de Peckinpah, mais c’est plutôt un lointain visionnage du Red State de Kevin Smith (2010) qui revient en tête – et pas seulement pour des raisons de complémentarité colorimétrique.
Avant de propulser ses jeunes héros dans ce fameux espace-temps du mauvais endroit / mauvais moment, Red State comme Green Room avait tout pour faire croire au teen movie (Smith suivait le périple d’adolescents appâtés sur internet par une annonce promettant des relations sexuelles, en réalité lancée par des fondamentalistes tendance Civitas sous acides bien décidés à punir la luxure). Dans les deux cas, la stupidité crasse sanctionne toute manifestation d’élan vital, et c’est une certaine idée de l’insouciance qui doit se coltiner de manière ultra radicale ce qu’il y a de plus moche dans ce monde. Ainsi, l’éclairage cru des néons verdâtres de la loge contredit brutalement l’aspect ouaté des premiers plans sur les Ain’t Rights pour dire la fin de l’innocence et toute la nostalgie des premiers temps qu’elle suppose. L’appellation film d’horreur peut être déceptive, car si l’on excepte les quelques clins d’œil adressés au genre (le van, le coin paumé, l’absence de salut extérieur, le méchant imperméable à toute négociation), aucun être possédé par une créature surnaturelle n’est ici en vue. L’horreur évoquée dans Green Room est avant tout psychologique : sale et aussi soudaine que réaliste, la mort de chaque membre du groupe est une blessure de plus infligée aux survivants, et la manière dont ces jeunes meurent compte peut-être moins que le fait qu’ils aient brutalement cessé de vivre pour des raisons absurdes.
En dehors des punks et des néo-nazis, un autre protagoniste joue un rôle clé dans la succession des évènements : le chien, en passe d’être la nouvelle arme de prédilection, a priori hermétique à toute idéologie, des méchants de cinéma. Il y a un mois dans le déplorable Remember (Atom Egoyan, 2016), deux semaines dans Desierto (Jonas Cuaron, 2016) et aujourd’hui dans Green Room, le meilleur ami de l’homme est avant tout une machine à tuer, qu’il obéisse à des ordres criés en allemand ou teintés d’accent yankee. Incarnant la bestialité de l’acte même de tuer, il est aussi la seule concession faite à l’humanité du tueur qui éclate en sanglots quand sa chère bestiole passe l’arme à gauche. L’ambivalence ontologique (ou presque) du chien trouve un écho dans son mode d’attaque qui relie, dans le même mouvement de va-et-vient, l’agresseur et l’agressé, au point d’opérer un renversement de situation (une figure fréquente dans le film à l’image de la green room, tour à tour piège ou refuge). A moins que ce mouvement soit un geste de contagion achevant de transformer chacun en animal livré à son instinct primaire ; pour échapper à l’état de proie, le seul moyen est de devenir prédateur à son tour. Schwarzenegger en son temps revenait à l’état de nature pour affronter le Predator (John McTiernan, 1987) sur son terrain de chasse. Les gros muscles de ces héros reaganiens sont à présent passés de mode, et la violence n’est souvent expérimentée que sous la forme du jeu ou du virtuel ; de fait, les Ain’t Rights survivants ne savent pas se servir d’une arme et leur seule stratégie consiste à s’inspirer d’une partie de paint ball.
Jusque-là protégés de la barbarie, ils vont devoir accepter la violence et en faire usage au risque de se rendre compte qu’elle peut aussi être source de joie, égalant par là l’adrénaline ressentie sur scène pendant un concert. Il aura suffi d’une nuit pour que les personnages se révèlent à eux-mêmes en reconnaissant leur côté obscur, mais le passage à l’âge adulte peut décidément être d’une cruauté inattendue.