La maison au Liban – Métamorphose des ruines
Arrivée comme de nulle part sur des terres marquées par les désastres de la guerre du Liban, ravagées de l’intérieur et amenuisées en effectif humain, Nada reprend possession d’une maison d’enfance laissée à l’abandon, décatie et noyée de lambeaux, croulant sous des ordures, en même temps qu’elle fait irruption dans la vie villageoise alentour. La cinéaste filme la présence imperturbable, parfois butée, de son personnage principal et suit sa réappropriation de la maison. A ce titre, ce lieu, d’apparence pourtant délabrée, se voit doté d’une âme particulière réinvestie fièrement par Nada. La jeune femme cherche à la métamorphoser, lui redonner vie. Elle nettoie, réajuste méticuleusement des sols souillés d’immondices, des murs à la peinture craquelée ou troués de balles. Jihane Chouaib filme l’architecture de la maison en lui rendant visuellement sa matière : reliefs de tavelures de pierre, tonalités de peinture, textures de terre, motifs de literie. Elle lui donne corps, une chaleur humaine retrouvée à travers le réaménagement du décor de Nada : série de bougies allumées la nuit dans toutes les pièces, mobile poétique,…
Paysage intérieur
A travers cette matière organique, ce que recrée Nada est moins la restauration de la maison que son édification fantasmée, imaginée comme le reflet de son paysage intérieur. Agrémenté au fur et à mesure de bouiboui et d’objets, d’une matérialité propre à la jeune femme, le lieu est comme la boîte à souvenirs déterrée non loin de la maison, que Nada et son frère avaient enfouie, enfants, de jouets fétiches et de petits mots ; caractère enfantin renforcé par le leitmotiv d’une comptine libanaise et le jeu ludique et lumineux de Golshifteh Farahani. La cinéaste construit cette scénographie à travers une atmosphère visuelle et sensorielle ouatée, parfois sensuelle, comme détachée du dehors. Une limite invisible mais palpable se fait sentir, une déconnexion, liée à l’environnement que reconstruit Nada. Cette maison s’apparente à son paysage intérieur, elle rentre comme en communication avec les lieux, s’isolant progressivement de tout autre environnement, refusant obstinément de quitter l’endroit, même en recueillant menaces et plaintes des habitants.
Maladroite mise en scène des traces du conflit
En cela, cette scénographie se heurte maladroitement à l’autre enjeu du film – et dont cette reconquête de la maison découle – représenté par des flashbacks : les souvenirs de guerre du Liban de Nada et du rôle opaque de son grand-père dans le conflit. Ces séquences qui remuent le passé se distinguent des autres par leur aspect figé voire factice, par des figures masculines trop peu approfondies. Ici et là sont glissées les rémanences corroborées par l’ire et le rejet de certains habitants locaux, toujours abîmés par des traumatismes et des ressentis larvés que vient brutalement (et naïvement) remuer Nada. Le long métrage faiblit dans cette mise en scène, oscillant de manière un peu gênante entre l’enchantement de Nada pour cette maison et le fond historique noir qu’il entraîne avec lui ; ne réussissant en définitive qu’à esquisser de communes représentations des ambiguïtés et trous de responsabilité individuelle propres à chacun dans de tels conflits civils. Si Go Home présente certaines qualités de mise en scène, il demeure fragile dans sa façon de lier le récit de son personnage à son passé raccordé à la guerre du Liban.