Ghost in the shell

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Plutôt simpliste dans l’approche de son sujet, « Ghost in the shell » montre cependant une singulière incarnation plastique.

Rupert Sanders ouvre son film sur la même scène d’introduction que la version animée originale et éponyme de Mamoru Oshii (1995) : la fabrication du cyborg Major, ou l’alliance entre un corps synthétique et un cerveau humain. Dans cette séquence à la visualité plastique aussi belle que déroutante, un corps de forme humaine est moulé, émergeant d’un liquide blanc et fondu ; à cette enveloppe conçue de toutes pièces est greffé un cerveau humain, dont la chair molle et fibreuse contraste avec son anatomie artificielle. Le Major (Scarlett Johansson) est née. Rescapée d’une vie dont on lui a effacé tout souvenir, celle-ci se réveille avec l’angoisse de réaliser que seul son encéphale lui appartient biologiquement désormais, son « ghost », ainsi nommé dans le film. Elle cherchera à en retrouver l’histoire.
 


Hacking binaire

Ce récit, qui trouve sa source dans le manga de Masamune Shirow (1991), se développe sur deux tenants : le premier s’inscrit dans l’utilisation, par l’expérimentation scientifique de la création du cyborg (le premier du genre « qui réussit »), du Major comme une arme permettant de lutter contre des menaces criminelles, en l’occurrence ici contre le hacking de cerveaux humains dont le process rappelle les pods du film EXistenZ (David Cronenberg, 1999) ; le second tenant, plus individuel, suit le personnage du Cyborg, hybride se trouvant dans une condition aussi surpuissante qu’ambivalente et boiteuse, en raison des émotions qu’elle expérimente en tant qu’être en partie humain (bien que le docteur l’ayant conçu tente de dissimuler au mieux ses « échos sensoriels »). Cette thématique, plutôt visionnaire à l’époque où l’avait imaginée Masamune Shirow, s’analyse aujourd’hui de manière plus patente, à l’ère des progrès spectaculaires de l’intelligence artificielle et de la robotique. Le blockbuster, plutôt didactique, n’échappe pas à la simplification et à une matière discursive assez binaire. Ainsi en est-il des seconds couteaux joués par Juliette Binoche (le docteur Ouelet) et Takeshi Kitano (Daisuke Aramaki), tout deux marqués par une présence actorale forte mais ici relégués à des rôles symboliques et peu exploités. Il en va de même pour le personnage du « méchant » Cutter (Peter Ferdinando) qui ne recule devant rien d’un point de vue éthique afin de faire rutiler l’entreprise de création des cyborgs.
 


Greffe futuriste

Les qualités de Ghost in the shell sont ailleurs, et c’est d’une façon plus souterraine qu’il engramme son sujet, à travers les personnages du Major et d’Hideo Kuze (Michael Pitt), ce dernier étant la version « inaboutie », donc violemment rejetée, du succès cybernétique qu’incarne le Major. Cette greffe futuriste dont ils ont fait l’objet, où la peau humaine est devenue un vêtement qui s’ôte par morceaux comme les pièces d’un puzzle, camouflant un système cybernétique, Rupert Sanders en fait le cœur esthétique de son œuvre et, disons-le, sa singularité de mise en scène. C’est bien moins l’articulation du récit du film que sa formulation plastique qui interpelle. Une étrangeté se manifeste à travers le Major, ce personnage qui plonge, opaque derrière sa peau d’écailles, et le jeu de Scarlett Johansson, toujours dans une forme d’instabilité entre une mécanique liée à sa condition de robot et un tatônnement tout humain. Une sensation mortifère naît de ce ghost, cette âme bafouée, réduite à devoir trouver son chemin dans la machine, craquelant comme ses parties du corps de synthèse. Des sensations véhiculées davantage par le travail ici subtil de l’imagerie générée par ordinateur. Le décor graphique de la ville futuriste très inspirée de son origine japonaise, un modèle de mégalopole contemporaine dans laquelle fourmillent d’étranges hologrammes traversant les buildings, accompagne d’une même façon ce déroutement de matière plastique, de mélange, appelant à toujours requestionner la conception matérialiste du monde et les impensés de ce qui fait l’humain.

C’est donc à travers sa mise en scène esthétique, son alliance de (fausse) chair et de système computationnel, de trous plastiques, que le long métrage captive et déroute par moments. Si son issue apparaît assez oiseuse et convenue, un plan, en forme d’écho visuel retient l’intention : celui d’un être humain qui tombe dans un bassin, mort, de la même façon que le cyborg Major en sortait au début du film, dans sa toute nouvelle peau. Un plongeon en rappelant un autre, celui d’entités terrestres étranges, dont la boîte noire échappe à l’esprit machinique.

 

Titre original : Ghost In The Shell

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Durée : 107 mn


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