Festival d’Amiens 2009

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Amiens, Novembre 2009. Comme chaque année, c’est le mois du festival de cinéma dont le centre névralgique est la Maison de la Culture. Retour sur dix jours de festival, de Picardie, de pluie et de salles obscures.

Depuis sa création il y a vingt-neuf ans, le festival a peu à peu grandi, proposant des rétrospectives de toutes origines et toutes époques. Cette année, quatre Licornes d’or furent remises pour l’ensemble de leurs oeuvres à Flora Gomes, cinéaste guinéen, Guillermo Arriaga, scénariste mexicain que ses collaborations avec Inarritu ont rendu célèbre, Türkan Soray, diva nationale du cinéma turque des années 60 et 70 et Jeon Soo-Il, cinéaste coréen dont on n’a pu voir pour l’instant, en France, que La Petite fille de la terre noire. A l’honneur des rétrospectives, quatre pays : la France pour les 40 ans des archives du CNC, les Etats-Unis pour le deuxième épisode d’un retour sur l’Actors Studio (le premier ayant eu lieu l’année dernière), les Studios de Yelsiçam pour la Turquie et le Mexique, ses révolutions et leur traitement au cinéma.

VENDREDI 13

Le Grand Théâtre est plein, Türkan Soray reçoit sa récompense et le public frémit lorsque De Niro apparaît sur l’écran et s’invective dans le miroir de son petit appartement. Taxi Driver (Martin Scorsese, 1975) n’a pas pris une ride.

SAMEDI 14

Les choses sérieuses commencent, la compétition aussi. Les Secrets de Raja Amari, un film tunisien, est diffusé en présence de sa réalisatrice. Fable assez lourde sur la situation de la Tunisie, le film finit sur un plan ridicule. Hafsia Hersi, à l’étroit dans ce rôle, se retrouve dans les rues de Tunis, pleines de monde, dans une robe blanche ensanglantée. De l’esbroufe assez inutile et très vaine.

Plus tôt, la diffusion du documentaire Goodyear, chronique d’une délocalisation programmée a créé l’événement. Plus de mille personnes assistent à sa projection et les ouvriers de Goodyear restent dans les lieux pour chanter trois quarts d’heure durant des slogans contre le patronat. Un des moments forts du festival. Pendant ce temps-là, Anelka marque le but de la victoire en Irlande et Patrick Sebastien déclare vouloir créer un parti humaniste, alternative à tous les partis politiques. Petit bonhomme en mousse ?

DIMANCHE 15

Le Parrain est projeté. Rappel des faits : il s’agit de l’acte de naissance officiel de la génération Actors Studio et de la passation de pouvoir entre Al Pacino et Marlon Brando, ponctuée par une scène mémorable entre père et fils. Il faut voir Brando sur grand écran, en Don Corleone vieillissant, défiguré par les rides, magnifié par l’éclairage de Tavoularis et sur un fond noir confinant à l’abstraction, prononcer « Look what they’ve done to my boy… They slaugthered my little boy… » On touche au sublime.

Dans la même journée, on profite de Vol au-dessus d’un nid de coucous (Milos Forman, 1975) et du Lauréat (Mike Nichols, 1967). Si le premier est toujours aussi brillant dans son discours sur le totalitarisme, le second a énormément vieilli, malgré son dernier plan, célèbre, où Dustin Hoffman et Katharine Ross en robe de mariée se retrouvent à l’arrière d’un bus, sans savoir où ils vont, sans comprendre le but de leur fuite, et où la tristesse pointe, déjà. Un plan qui rattrape tout le film, lutte acharnée pour échapper à quelque chose dont, au final, ni spectateurs ni personnages ne savent exactement de quoi il s’agit.

Dans les coulisses, une info nous est glissée : Guillermo Arriaga serait arrivé. Ô joie !

LUNDI 16

Début de semaine, la fatigue du premier week-end, festif, se fait déjà sentir. 10h30, diffusion de Shirley Adams. Décidément l’Afrique du Sud est partout. Dans la tête de l’équipe de France de football comme dans celle des festivaliers d’Amiens. Olivier Hermanus, dont c’est le premier film, ramènera la Licorne d’or à Johannesburg. En Sicile, le numéro deux de la mafia se fait arrêter la nuit précédente, recherché depuis quinze ans. Sur nos écrans pourtant, Michael Corleone continue son ascension et se condamne lui-même. Le Parrain 2 (F.F. Coppola, 1974) est l’épicentre de la trilogie. Marche lente, lumineuse et sombre, colore et terne, celle d’un père et son fils, au même âge de leur vie. Il y a quelque chose de dangereux à remonter le temps, à se souvenir, à fouiller le passé. Les feuilles mortes et le travelling avant sur un Al Pacino plongé dans la réflexion du plan final ne disent pas autre chose.

MARDI 17

L’heure du choix. Pour la soirée on a, d’un côté, Voyage au bout de l’enfer (Michael Cimino, 1978), chef d’oeuvre, opéra en trois parties sur la communauté, l’amitié, le désenchantement, avant, pendant et après un des conflits majeurs de l’Histoire américaine, la guerre du Viêt-Nam, et de l’autre, Sexe, désir et vidéo, une compilation de courts-métrages interdits aux moins de 18 ans. Pas facile. On préfère opter pour le deuxième choix. Bien nous en a pris. Emeutes dignes de celles de Paris le week end précédent, à cause d’un site Internet ayant promis une distribution de billets. Tout le monde veut en être. On nous fait changer de salle tant la demande est forte, afin de pouvoir « satisfaire tout le monde »… La journée avait pourtant bien commencé. Leçon de scénario par Guillermo Arriaga. A une question du public sur Tarantino et Kitano, il répond sèchement que ses seules influences sont Faulkner et Shakespeare et que le reste lui importe peu. Plus sérieusement, le cinéaste mexicain nous livre un des secrets de son travail d’écrivain (il se considère comme tel, et non comme un simple scénariste): « Si on enlève la logique au spectateur, il ne lui reste plus que l’émotion, c’est ce que je m’applique à faire. »

MERCREDI 18

On part à l’aventure avec le programme Fêtons Court ! (remarquable jeu de mots). Quatre heures de courts-métrages amateurs dans la même salle, sans pause. On ne s’ennuie pas. De bonnes idées sont à retenir ici et là. A la fin, le public élit ses trois préférés et le vainqueur aura une distinction. La salle est remplie de jeunes, d’amis venant supporter tel ou tel film. Ambiance agréable. Julien Courbey parraine la compétition. Un petit discours en doudoune et casquette et puis s’en va.

Dans la soirée, le Cinéma direct est à l’honneur. Reed, Mexico Insurgent est la trouvaille de cette 29e édition. Il y a chaque année un film venu de nulle part, qui se démarque et qu’on ne pourra sûrement jamais revoir tant ses copies sont rares. Cette année, ce fut celui de Paul Leduc, réalisé en 1971, retraçant l’histoire vraie d’un journaliste américain venant se mêler aux troupes de Pancho Villa pendant la révolution de 1910. Magnifiques moments de suspension, à l’arrière des batailles, maintenues hors-champ. Plans-séquences, très longs, exprimant la frustration d’un homme qui voudrait se mêler aux combats, mais qui reste en retrait, en invoquant l’héritage d’un père qui, lui, n’était pas spectateur mais se mêlait aux grèves, aux luttes. Lui, le journaliste, est condamné à attendre les informations, à regarder, à être spectateur, donc. La révolution y est une chose longue, pénible mais sensée et indispensable. La liberté sans justice, c’est le libéralisme. La justice sans liberté, c’est la dictature. Il faudrait trouver un juste milieu.

Pendant la diffusion de son film, le réalisateur mexicain (deuxième en partant de la gauche), passionné de foot, regarde le match, et nous apprend la main de Thierry Henry durant le débat suivant la projection. Après un premier moment d’incrédulité, on se dit que le sport n’est pas là pour rattraper les égarements du monde. Pourquoi devrait-il dès lors renvoyer l’image d’une société vertueuse, qui serait donc fausse ?

JEUDI 19

Soulagement. Il a fallu attendre trois jours pour voir le dernier des Parrain. Si Arriaga nous a donné une leçon de scénario, Coppola nous donne une leçon de montage. A la sortie, Dominique Choisy, réalisateur de Confort moderne (2000) s’extasiait sur la désormais célèbre dernière demie-heure : « on croirait que tout se passe dans le même espace », résume-t-il. C’est la force de cette trilogie, cohérence spatiale et cohérence temporelle, les trois films pris dans leur ensemble formant une boucle. Les fondus enchaînés, à la fin du Parrain 3, montrant Michael Corleone dansant avec sa fille puis avec avec Kay lors du Parrain 2 et enfin avec Apolonia lors du premier Parrain viennent le confirmer : chaque nouveau visionnage, chaque retour aux premiers plans de cette trilogie vient ajouter une nouvelle couche à ce qui pourrait être perçu comme un immense songe (Michael Corleone sur sa chaise de grand-père, dans les derniers plans du Parrain 3, mettant ses lunettes de soleil, faisant le voile sur son histoire, avant de s’éteindre), le faisant plus tenace, plus palpable à chaque fois. Voilà pourquoi la trilogie ne vieillit pas.

VENDREDI 20

Toni Musulin, le braqueur de fourgon, s’était rendu, ayant compris qu’il avait tenté un coup de poker mais qu’il avait perdu. Henry, lui, déclare que l’on devrait rejouer le match, quatre heures après que la FIFA ait déclaré l’impossibilité de le faire. Enigme : dans lequel des deux cas peut-on parler de fair play ? Au festival, le matin, projection de rushes très rares datant des années 1910 au Mexique. Les premières images filmées d’un conflit de toute l’Histoire. Tout cela dans un silence de cathédrale (on avait jugé bon, en amont, de ne pas rajouter de musique sur ces images, choix judicieux). Au bout d’une petite demi-heure, le silence est troublé par une vingtaine de lycéens qui s’impatientent et se lèvent tous en même temps pour quitter la salle. Un monsieur âgé rouspète. Conflit de générations devant des images vieilles d’un siècle…

Robert Hossein était présent pour parler d’un film projeté dans le cadre de l’interaction entre révolution mexicaine et cinéma, un des rares westerns français, Le Goût de la violence qu’il a écrit, réalisé et interprété en 1962. Belle trouvaille. Patrice Leconte est aussi venu faire un petit tour au festival. Il présente son projet, très personnel, Dogora, ouvrons les yeux, datant de 2004, montrant un choeur d’enfants cambodgiens. Soirée événement dans le cadre des 20 ans des Droits de l’enfant, en partenariat avec l’UNICEF. Le même jour, un chiffre tombe, dans Le Monde : plus d’un milliard d’enfants dans le monde voient leurs droits bafoués, chaque jour. Joyeux anniversaire.

SAMEDI 21

Sarkozy veut faire entrer Camus au Panthéon, et la NASA projette de réduire les effets des rayons du soleil sur la terre en plaçant en orbites 1500 plaques de verres qui détourneraient certains de ces rayons. On sort peu à peu du festival. Le bar ferme tôt, comme tous les soirs cette année.

DIMANCHE 22

Les films primés : Licorne d’or pour Shirley Adams d’Olivier Hermanus (Afrique du Sud, 2009), Prix du jury pour Barking Water de Sterlin Harjo (Etats-Unis, 2009), Prix d’interprétation féminine à Teresa Ruiz et Cassandra Ciangherotti pour Aller-Retour de Gerardo Tort (Mexique, 2009), Prix d’interprétation masculine à Nader Boussandel pour le film Les Barons de Nabil Ben-Yadir (Belgique-France, 2009) et enfin Licorne d’or du court-métrage pour Waramutseho d’Auguste Bernard Kouemo Yanghu (Belgique-France-Cameroun, 2009). Le dimanche prévoit toujours la rediffusion des films primés. Après cela, la Maison de la Culture se vide, se ferme. Rideau.

Le Festival d’Amiens, conduit par Jean-Pierre Garcia et Fabien Gaffez, duo atypique et complémentaire, instinctivement proche du public, est ainsi pris entre la tentation du glamour, rendu impossible par faute de moyens, et la nécessité de produire de la qualité, par des propositions de débats, de tables rondes. Il ne perd jamais de vue une chose : que les gens sont là pour s’amuser, que le cinéma doit être une fête, et que pour survivre, il doit obéir à une logique de remplissage. Petit festival certes, mais assez noble dans l’énergie déployée par ses concepteurs, dans la proximité qu’une ville de province instaure, dans ce lieu ouvert à la ville qu’est sa Maison de la Culture et dans le mouvement incessant de ses bénévoles.

Plus d’infos : www.filmfestamiens.org


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