Eloge de la diversité

Article écrit par

Après plusieurs semaines chargées en deuils et adieux pour le cinéma français, les sorties de ce mercredi permettent de revenir au présent avec une armada de productions hexagonales typiques de l´éclatement et de la bonne santé (?) de notre système.

Après un Indigènes plus plébiscité pour ses intentions et le capital sympathie de son casting que pour ses réelles qualités cinématographiques, Rachid Bouchareb a fort à prouver avec sa grande fresque Hors-la-loi (ce sera également l’occasion de vérifier si la polémique politico-médiatique était justifiée). A cette grosse production française répondent trois projets différents : l’exercice de style de Homme au bain par l’inégal Christophe Honoré, une tentative de thriller teenage avec Simon Werner a disparu... et la divine fantaisie d’Otar Iosseliani dans Chantrapas.

Défendant chacun leurs paroisses, les professionnels du métier se plaignent souvent pour les uns de l’omnipotence des chaînes de télévision finançant essentiellement les grosses machines, quand les chantres d’un cinéma plus grand public dénoncent la politique du CNC, donnant uniquement son aval aux œuvres auteurisantes cafardeuses. La vérité se situe sans doute entre les deux, symbolisée par la programmation française de cette semaine (dans laquelle nous rangeons également les rééditions dvd de Jacques Demy).

Cette diversité de productions, on la retrouve également dans la distribution. Le cliché d’une habituelle « invasion américaine » dans les salles est ici  largement contredit. La diversité des genres, nationalités et thématiques des films de la semaine est assez remarquable : européen avec le référentiel et expérimental Double Take du belge Johan Grimonprez et le diptyque Milk/Miel à travers lequel Aliénor Ballangé poursuit son étude du cinéma turc, feuilleton de l’été en ces lieux. N’oublions pas également le réussi Amore, symbole de la bonne santé récente du cinéma italien. Même si l’hétéroclisme des sorties est souvent le lot de la capitale, nous pouvons nous réjouir d’un éventail de sorties parmi les plus diversifiées au monde, pour preuve encore, la sortie prochaine du film Tchadien Un homme qui crie.

Plutôt que de se cloisonner dans les écoles, courants de pensée et tendances, c’est donc vers cette diversité que tend notre démarche, laissant s’exprimer les goûts et sensibilités diverses au service d’un même art. La multiplicité unique qu’offre notre système, mettons-la à profit pour défendre la qualité et le plaisir procurés par nos coups de cœur (sans oublier cette semaine le fascinant Songe de la lumière et La Religieuse portugaise, édité en dvd) plutôt que de pointer les défauts d’une segmentation qui constitue en fait un vrai atout.


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…