Elle s’en va

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Catherine dans tous ses états.

Il y a, au début de Elle s’en va, quelque chose comme une idée de scénario : Bettie, patronne d’un restaurant dans un bled de Bretagne, apprend de la bouche de sa mère, avec qui elle vit toujours la soixantaine passée, que son amant la quitte. Alors elle plante tout là, les assiettes et les clients, prend son break Mercedes qui a vécu et prend la route, sans trop savoir où elle va, croyant peut-être faire le tour du pâté de maison. Elle a juste pris un sac à la va-vite, même pas de cigarettes alors qu’elle a choisi de reprendre, et finalement, la virée durera aussi longtemps qu’elle s’est décidée en un instant. Bettie, c’est Catherine Deneuve, qu’on pourrait regarder des heures. Derrière la caméra, Emmanuelle Bercot, réalisatrice qui a révélé Isild Le Besco dans La Puce (1998) et tourné Backstage (2005) ; mais aussi actrice chez Jacquot (À tout de suite, 2004), Miller (La Classe de neige, 1998), Tavernier (Ça commence aujourd’hui, 1999), ou plus récemment pour sa copine Maïwenn dans Polisse (2011). Et elle aussi, Catherine, elle pourrait la regarder des heures.

Ce qu’elle fait – presque exclusivement. Très vite, on ne voit plus Bettie, mais bien Deneuve, qu’on a ici envie d’appeler par son prénom tant Bercot s’amuse à la placer dans des situations banales de « gens normaux ». Catherine s’allume une cigarette, puis une deuxième ; Catherine est « un peu pompette » dans une boîte de province, elle a bu trop de « caïpis » ; Catherine s’offre un coup d’un soir, ça faisait longtemps ; Catherine s’endort sur le lit d’un magasin But ; Catherine engueule son petit-fils (embardée scénaristique, il faut s’en occuper quelques jours alors qu’elle ne l’a pas vu depuis des plombes), puis se réconcilie avec lui ; Catherine apprend à manger chinois avec des baguettes ; Catherine participe à une réunion d’anciennes Miss régionales (il y a longtemps, elle est allée en finale nationale). Vaste programme, qu’on regarde exactement pareil (et avec le même plaisir) qu’une succession de vignettes tirées d’albums Martine, mais qu’Emmanuelle Bercot déroule avec un immense sérieux, toute affairée qu’elle est à réserver à Deneuve la plus grande place possible, à lui donner un formidable terrain de jeu sur lequel jouer et composer.

 

 

Très peu de cinéma dans Elle s’en va, au sens technique du terme tout du moins : pas tellement d’idée de mise en scène, pas de soin particulier apporté à la photo, un scénario ultra-mince, et le procédé de mélange d’acteurs professionnels et d’amateurs (ici, toutes les personnes que croise Bettie sur son chemin) commence à être éprouvé. Il y a pourtant quelque chose de très réussi dans le film d’Emmanuelle Bercot, la manière qu’a la cinéaste de cristalliser un énorme désir autour d’une seule actrice, star absolue depuis des dizaines d’années. C’est moins des références avouées qu’elle convoque ici – même si Truffaut ou Dupeyron (Drôle d’endroit pour une rencontre, 1988) peuvent venir à l’esprit – qu’une imagerie deneuvienne constituée aussi bien de souvenirs de films passés qu’on aurait vus mais oubliés que de situations rêvées dans lesquelles elle/on aimerait voir l’actrice. On le sait depuis quelques temps, cela se confirme ici : Deneuve a un vrai potentiel comique, et une grande dose d’autodérision. Une scène de beuverie qui se termine par Bettie affalée sur une banquette affublée d’une gigantesque perruque rose ; une photo de famille d’ex-Miss mitraillée par un photographe qui réclame des « sexa sexy », Deneuve sait tout faire, et le fait en conscience, comme pour enfin se débarasser d’une étiquette qu’on a pu lui coller et dans laquelle elle ne se reconnaissait pas. Ça ne fait pas un grand film, mais on a rarement vu une comédienne s’abandonner autant au désir d’un cinéaste, ni un cinéaste croire à ce point que le simple fait de la filmer puisse créer un bonheur instantané. C’est le cas, et c’est tout à fait réjouissant.

Titre original : Elle s'en va

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Durée : 113 mn


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