Dollhouse

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En adaptant pour la télévision sa mise en scène de « Maison de poupée » d´Henrik Ibsen, qui a connu un vif succès à Paris au festival d´automne 2008, Lee Breuer, fondateur de Mabou Mines et qui a un temps travaillé à New-York avec Beckett, fait sensation car son film dérange.

Voici une maison de poupée hystérique, esthétique, radicale et bariolée qui respecte cependant, en le politisant, le texte d’Ibsen de 1879. En effet, se servant d’un décor de théâtre à l’italienne et d’une vraie maison de poupée comme celles avec lesquelles les petites filles jouaient encore au déjà lointain XXe siècle, Lee Breuer innove largement. Et ce n’est pas tout, il travaille en fait sur l’échelle entre les meubles et l’immensité du plateau, en plaçant dans les loges et au parterre un vrai faux public de marionnettes. Et ce n’est pas tout, il déstructure encore l’échelle en choisissant des actrices femmes très grandes, pas moins d’1 m 80, jouant avec des personnages masculins lilliputiens d’un mètre et quelque de haut. Impression garantie, d’autant que cette différence de taille n’en donne pas moins de puissance au machisme, comme si la taille de l’homme, dans une société sexiste, ne remettait pas en cause sa puissance dominatrice, bien au contraire.

Mais la haute stature de Nora, lorsqu’elle finit par se libérer à la fin, ne lui en donnera que plus d’importance, elle se déroulera dans le théâtre entier, comme un King-Kong femelle qui chante sa délivrance et sa liberté sur un air d’opéra, non pas comme une Walkyrie, mais comme une Traviata enfin libérée, pendant que son homme, nu, repose dans un lit de poupée sur la scène désertée. « Un jour, confie le metteur en scène, ma compagne m’a laissé tomber, notre enfant sur les bras. J’ai entendu la porte claquer. Je me suis alors senti tout petit ! ».

Certains esprits peu enclins au changement pourraient reprocher à cette mise en scène furieusement moderne et provocante de ne rien apporter au texte du célèbre Norvégien. Pourtant, il y a une force dans ce travail qui, de plus, est parfaitement ciselé : aucun temps mort, des astuces de mise en scène et des ajouts intéressants, comme la présence de la pianiste sur une partie de la scène, et qui veut sortir du théâtre quand elle croit que l’on critique les Chinois. « C’est dans le texte », dit alors l’un des personnages en interrompant la pièce, et le réalisateur montrera le texte en gros plan, comme preuve à l’appui. Il y a des idées à foison, que nous ne dévoilerons pas toutes, pour vous donner envie de voir ce film. Ne ratez surtout pas le début, et ne partez pas avant la fin, même si votre côté Ibsen devait en pâtir : attendez, vous ne serez pas déçus.

Entre monde des marionnettes, d’habitude chasse gardée des spectacles pour enfants, et Freaks de Tod Browning inversé, Dollhouse décoiffe parfaitement et vous n’oublierez pas non plus ses costumes, ses masques à la Breughel et ses transports, machineries comprises, comme si la scène du théâtre s’était mise elle aussi à l’hystérie. Ce travail nous rend impatient de voir d’autres spectacles vivants de Lee Breuer, qui a adapté récemment Gospel at Colonus et Peter and Wendy. À quand une Flûte enchantée ou un Nibelungen ? Et pourquoi pas une nouvelle adaptation au cinéma de la vie des marionnettes ?

Titre original : Dollhouse

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Durée : 123 mn


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