Premier jour de Festival Américain à Deauville, embarquement immédiat auprès de deux films en Compétition.
De cette première journée de compétition, notre impression sera pour le moins mitigée. Car des deux films projetés ce samedi, l’un nous semble plus que convaincant et réussi tandis que l’autre suscite au mieux quelques interrogations – sur la démarche du metteur en scène, ce qu’elle a voulu dire, quel était son projet exactement – au pire, tant il nous a plongé dans un ennui profond, nous décourage même d’en savoir un peu plus, justement, sur ces intentions et sur les idées qui ont préexisté à ce qu’il faut bien appeler un film raté.
Il s’agit de A Girl Walks Home Alone At Night, co-production américano-iranienne, signée par la jeune jeune réalisatrice Lily Amirpour. L’action se déroule dans une ville, probablement en Iran, nommée Bad City. Il semble que Lily Amirpour ait voulu que se soit la ville du vice absolu, enfin c’est ce que l’on finit par comprendre car ses habitants s’adonnent soit à la consommation d’héroïne, soit à la prostitution, soit au trafic de drogues, à la violence bestiale, etc, etc. Chacun a sa spécialité mais nous comprenons au fur et à mesure de l’écoulement pénible de l’action que le film ne sera jamais en mesure de prétendre à une unité, à une fluidité dans le récit. Sur le fond, la réalisatrice semble avoir voulu développer une idée à travers le personnage d’une jeune femme vampire. Celle-ci, voilée, a le masque de la pureté et pourtant elle se nourrît du sang de ceux qui se vautrent dans le stupre. Quelle est l’intention du metteur en scène avec ce personnage mi-ange mi-démon ? En fait, ce film tient de la fable, du conte mais nous n’en percevons à aucun moment la morale, ni la puissance métaphorique. Amirpour semble s’être rabattue sur la carte de l’esthétique avec un beau noir et blanc et une bande son riche et rock. Seulement voilà, un beau grain de pellicule et de la bonne musique ne suffisent pas à faire un film. Ainsi A Girl ressemble souvent plus à une succession de clips qu’à un véritable long-métrage.
Dans un tout autre registre, était projeté ce samedi, Un homme très recherché (A Most Wanted Man, sortie le 17 septembre) d’Anton Corbijn. Très attendu, sans doute car sa vedette principale est le regretté Philippe Seymour Hoffman, ce film projeté devant une salle comble remplit toutes les attentes qu’il a pu susciter. Tiré du roman éponyme de John Le Carré, c’est un film d’espionnage, genre on ne peut plus visité dans l’histoire du septième art. Pourtant, tout en reprenant les codes, les situations (parfois même certains poncifs), du film sur les services secrets, A Most Wanted Man, relève parfaitement le gant, et s’avère être une très belle réussite sur le plan du scénario, de la mise en scène. Sans parler de l’interprétation impressionnante d’Hoffman dans le rôle d’un responsable d’une cellule anti-terroriste vieillissant, humain, bon et… un brin naïf… L’éloge de cet acteur n’est plus à faire. Il se trouve qu’il a accumulé les très grands rôles quelques années avant sa mort accidentelle comme s’il s’était dépêché d’exprimer un génie dont il avait deviné que les jours étaient comptés. L’histoire racontée ici est d’autant plus passionnante qu’elle relate une actualité brûlante : la lutte contre le terrorisme islamiste et les ramifications de celui-ci en Europe – en l’espèce à Hambourg. D’ailleurs la cité allemande sert de beau décor au film avec ses ambiances de bars à marins poisseux, ses plans sur le port, les ponts, les toits.
Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…
Lundi 7 juillet, au cours d’une cérémonie à la cinémathèque française, un long métrage et un court métrage se verront attribués le prix Jean Vigo, 2025. Wang Bing sera également récompensé pour l’ensemble de son œuvre.