Le première oeuvre personnelle d’Imamura et un manifeste rageur.
Cochons et cuirassés est la première œuvre majeure de Shohei Imamura, celle qui l’associera à la Nouvelle vague japonaise aux côté de Nagisa Oshima. Seijun Suzuki ou Masahiro Shinoda. Après des débuts à la Shôchiku où il fut l’assistant d’Ozu, Imamura intègre la Nikkatsu où il rongera longuement son frein dans des films de commande. Alors qu’il pense pouvoir enfin signer un film personnel, le studio lui impose la réalisation de Mon deuxième frère (1959), adaptation de l’autobiographie d’une émigrée coréenne de dix ans. Le film est un immense succès salué par le ministère de l’éducation, au grand dam d’Imamura qui renie cette œuvre aux antipodes de ses préoccupations. En récompense, la Nikkatsu lui laisse le champ libre pour son projet suivant, ce Cochons et cuirassés rageur. Le film fait un portrait sans concession du Japon d’après-guerre et sous occupation américaine. Si Imamura fustige en filigrane les américains avec ses soldats distribuant les dollars en quête de plaisirs divers, c’est surtout l’avilissement des japonais pour obtenir leurs faveurs qu’il dénonce. Le cadre de l’histoire est la ville de Yokusuka qui, comme d’autres cités portuaires japonaises, abrite une base navale américaine. C’est donc un lieu interlope abritant une population douteuse en quête d’argent facile.
Une jeunesse en perdition, un pays sans repères
La scène d’ouverture donne le ton avec un plan d’ensemble sur la base sur fond d’hymne américain, avant qu’un panoramique laisse apparaître les drapeaux. Nous y suivons le jeune Kinta (Hiroyuki Nagato), petite frappe cherchant à percer chez les yakuzas. Il pense faire fortune en se mêlant à un trafic de cochons nourris avec les restes des bases américaines. Imamura nous montre un Japon brisé et à bout de souffle. Les anciens ne peuvent plus servir de guides à la jeunesse, que ce soit le père de Kinta usé par l’alcool et le travail à l’usine ou le chef yakuza (Tetsuro Tamba) affaibli par la maladie. Pour Kinta, les deux voies proposées par ses « pères » s’avéreront une impasse, que ce soit la vie de labeur de son père qu’il refuse ou celle de yakuza à laquelle il aspire mais pour laquelle il sera trop tendre. Cette indécision se traduit également par sa tenue vestimentaire avec une pure allure d’ado américain dont les vêtements arborent des motifs japonais, illustration de son rapport amour/haine face à ces envahisseurs américains. Seul l’amour de sa fiancée Haruko (Jitsuko Yoshimura) semble pouvoir le sauver mais elle-même est soumise à une pression sociale pour céder à un même avilissement. Sa mère et sa sœur l’incitent à accepter les avances d’un riche soldat américain, Imamura, montrant avec crudité un Japon délesté, par instinct de survie, de toutes valeurs, et de toute distinction entre le bien et le mal. Les plus immatures comme Kinta cèdent complètement aux tentations et à l’argent facile quand il est plus difficile dans cette société japonaise machiste d’y résister pour une âme pure comme celle d’Haruko. Imamura scrute avec un réalisme frénétique ces bas-fonds qu’il connaît bien puisqu’il bascula un temps à cette vie facile lorsqu’il vécut dans le quartier de Shinjuku entre jeux, alcool et femmes. C’est en voyantL’Ange ivre (1948) d’Akira Kurosawa et le réalisme avec lequel il dépeignait cette fange qu’Imamura quitta cette existence pour intégrer l’industrie du cinéma.
No Future
La mise en scène d’Imamura cède à un chaos de plus en plus insoutenable au fur et à mesure de l’avancée du récit (la scène de viol où la caméra tourbillonne en plongée comme une ellipse à l’horreur). La première scène nocturne montre Kinta rabattre un GI dans une maison close bondée avant que la police n’expulse tout le monde avec un sens du mouvement intense. Tout le film tend à exacerber cette ouverture tandis que les personnages basculent. La photo de Shinsaku Himeda oscille entre les ténèbres des ruelles désertes où se règlent les comptes et la grande rue outrageusement éclairée de néons tapageurs de bars dans lesquels les prostituées aguichent les GI. Le tumulte représenté par cette urbanité luxueuse et corrompue s’oppose à la misère des mansardes dans lesquelles vivent Kinta et Haruko, leurs familles vindicatives jurant également avec la bienveillance calculée de yakuzas/maquereaux qui veulent profiter d’eux.
La jeunesse semble donc clairement être davantage une victime sacrificielle de l’état du Japon d’alors. Entre l’usine et les yakuzas, même s’il est suggéré que l’entraide pourrait amener des jours meilleurs au pays, aucune voie intermédiaire et une même vie de souffrance pour tout horizon. Le final fonctionne également sur cette dualité entre calme et chaos. Après une ultime étreinte apaisée promettant des jours meilleurs pour Kinta et Haruko, la dernière scène déchaîne des visions de cauchemars avec cette nuée de cochons lâchés en pleine ville, engloutissant tout le mal ambiant. L’atmosphère de film noir bascule dans un symbolisme oppressant qui ne laisse aucun espoir de retour. La dernière scène est d’une ironie aussi mordante que tragique avec l’arrivée d’un nouveau régiment de GI haranguant la nuée de japonaises débarquant en ville pour les satisfaire. Ce regard cinglant aura une conséquence sans appel, puisque par crainte de représailles, le studio empêchera Shohei Imamura de tourner pendant deux ans. Mais qu’importe : un grand cinéaste était né.
Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.
En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…
Lundi 7 juillet, au cours d’une cérémonie à la cinémathèque française, un long métrage et un court métrage se verront attribués le prix Jean Vigo, 2025. Wang Bing sera également récompensé pour l’ensemble de son œuvre.
L’anthologie du suspense et de l’humour orchestrée par Sir Alfred Hitchcock. 268 histoires courtes – dont un grand nombre d’inédits- à dévorer sans modération.