Château rouge

Article écrit par

Vies scolaires et solaires.

Quartier de la Goutte d’Or à Paris, métro Château Rouge, collège Georges Clemenceau. Chargés de leur insouciance et de leurs blessures, les adolescents doivent grandir. Ils construisent leurs personnalités, se perdent, se cherchent. Les adultes tentent de les guider malgré la violence du système.

Les élèves d’une classe de troisième préparent leur brevet, avec leurs doutes, leurs qualités, mais aussi leurs espoirs d’une vie différente avec le choix d’une orientation scolaire et professionnelle, une décision importante à prendre pour ces jeunes du quartier de la Goutte d’or, au nord de Paris. Dans cet établissement moins favorisé que d’autres, une population scolaire d’horizons et de cultures variés doit affronter ses incertitudes face à un système où les échecs restent encore nombreux, ou limitent les aspirations existentielles des apprenants. Et les hésitations sont immenses pour des jeunes gens âgés de 14 ou 15 ans.

La cinéaste Hélène Milano, dans Château rouge, accorde une large place aux propos des adolescents de cette classe de troisième, à la croisée des chemins de leur vie, sans tomber dans la facilité démagogique ou les excès d’une scénarisation déformant la réalité des faits et du terrain. Pris sur le vif, les adolescents se comportent comme normalement en cours, en convocation en vie scolaire ou à l’infirmerie, avec leurs variations d’âmes, leurs absences réitérées, leur pessimisme, leurs cartables d’incertitudes portés quotidiennement. Ou sur le son de la pluie extérieure.

S’opposant  à cette sinistrose ambiante, l’équipe du collègue fait front pour lutter contre ces défaites juvéniles annoncées, par le dialogue, les appels aux parents, les entretiens vifs d’une principale : en un mot, par l’empathie et le combat contre l’isolement. L’établissement porte bien son nom : la passion animant le Tigre Clémenceau s’y retrouve, toute proportion et espace-temps gardés. Lutte contre l’absentéisme, le décrochage, les pensées négatives, les hésitations multiples, les émois. La documentariste effectue une immersion dans cet univers instable, sans juger, sans aucune subjectivité. Mais en plaçant sa caméra à une distance subtile, tel un témoin écoutant et regardant sans a priori ces tranches de vie.

Château rouge s’avère un film sans systématisme formel, sans aspects répétitifs, sans aucun tunnel, tout en répartissant les élèves et les adultes dans plusieurs espaces et temporalités discursives : ceux d’une salle de classe, d’un espace plus administratif mais à taille humaine, ou d’un lieu réservé à la confession, à l’expression artistique, ou aux silences très expressifs. Sans commentaires ou voix-off intrusifs. Retenons à ce propos une scène de danse face caméra, qui semble digressive mais reste profondément révélatrice d’une révolte et d’un questionnement de deux jeunes élèves qui reprendront confiance. D’autres instants de suspension, grâce au montage efficace, s’intercalent entre des rires ou des tensions, comme des symboles ou des métaphores du quotidien des occupants du lieu.

Loin d’un angélisme ou d’une construction scénaristique, loin d’un manichéisme facile ou d’un jugement hâtif porté sur l’institution scolaire, Château rouge vous fera dire, comme les membres du collège, qu’il « y a moyen » de réussir à gravir une nouvelle marche de l’escalier de notre existence en croyant à ses modestes talents et au soutien d’autrui.

Lire aussi

L’Aventure de Madame Muir

L’Aventure de Madame Muir

Merveilleusement servi par des interprètes de premier plan (Gene Tierney, Rex Harrison, George Sanders) sur une musique inoubliable de Bernard Herrmann, L’Aventure de Madame Muir reste un chef d’œuvre inégalé du Septième art, un film d’une intrigante beauté, et une méditation profondément poétique sur le rêve et la réalité, et sur l’inexorable passage du temps.

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…