C’est l’amour

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De manière parfois drôle, parfois tragique, Paul Vecchiali nous livre sa vision de l´amour dans un film baroque.

Après dix ans passés éloigné des salles obscures, Nuits blanches sur la jetéesorti l’an dernier, consacre le retour de Paul Vecchiali au cinéma, à tel point que son rythme de tournage s’emballe au point de devenir quasiment allenien puisqu’il est actuellement en train de tourner Le Cancre avec Catherine Deneuve et Edith Scob. Et Pascal Cervo, trait d’union de ses derniers longs métrages, présent dans Nuits blanches sur la jetée et C’est l’amour, tous deux une sorte de variation sur un même thème, la passion amoureuse.
Jean est marié à Odile, il l’aime et elle l’aime en retour, mais ils ne s’aiment pas toujours au même moment ou de la même façon. Alors Odile soupçonne Jean de la tromper. Elle prend donc une décision aussi soudaine que pragmatique, elle le trompera en retour. Ce sera avec Daniel, acteur fraîchement césarisé et de longue date désabusé, déjà en couple avec Albert, qui l’aime plus que Daniel ne l’aime. Tous les deux vont, presque malgré eux, tomber très amoureux et leur histoire sera comme il se doit tragique.
 
Nuits Blanches sur la jetée était placé sous le signe de la lune ; C’est l’amour, lui, est crûment éclairé par un soleil de tragédie grecque sous lequel, dès l’apparition d’un titre tout en lettres sanguinolentes, le rouge est mis. Et commence à s’écouler de Daniel, qui l’arbore autour du cou en bandana, à Odile qui s’en drape le jour de leur rencontre, jusqu’à s’étendre au cadre entier comme un élément contagieux et de fait dangereux qui les mènera inexorablement à leur perte. Si le film porte dans son titre quelque chose de joyeux, il n’éloigne pas pour autant un certain fatalisme, comme c’est le cas dans l’expression « c’est la vie » suivant qu’on la ponctue d’un point d’exclamation ou de points de suspension. Tout est donc ici affaire de fluctuations, de points de vue et de subjectivités dans une œuvre où plusieurs tonalités ne cessent de cohabiter, de se bousculer et de se superposer sans jamais se gêner le moins du monde.

 

Dans une interview, le réalisateur avait souligné l’hétérogénéité essentielle de la vie et de fait, son dernier film illustre cette déclaration. A l’image du patronyme de Daniel Tonnaire associé dans notre esprit au coup de foudre dont il est à la fois l’effet et la cause, mais détourné par un autre protagoniste en « aire d’autoroute » dans une plaisanterie moqueuse et grivoise, lyrisme et trivialité jouent à armes égales et se reflètent dans un jeu de miroir permanent. La façon d’aligner, côte à côte, en un même plan, les portraits des personnages en forme de pré générique évoquent la sitcom ou la telenovela, mais aussi la façon dont le chœur présente chaque protagoniste de la tragédie à venir. Et si les décors et les peignoirs à fleurs un peu ringards rendent compte d’une plate réalité, parfois un peu kitsch, cela n’empêche pas les comptables et les femmes au foyer d’être dignes d’être soumis au fatum même si dans ce cas les voix du destin choisissent de s’incarner dans le corps d’une chanteuse de bal de village. C’est l’amour parvient à rendre le réel, dans ce qu’il a de plus quotidien, absolument antinaturaliste ; et d’une histoire née de ragots de village (un homme vivant avec un homme et découvrant l’amour avec une femme mariée), le réalisateur a fait un film sur des personnages en état de guerre, que ce soit vis-à-vis de leur couple, de leur métier ou de leur passé, et manipulé par le destin.

Un état de guerre traduit formellement par des champs/contrechamps, envisagés selon les dires du réalisateur comme une figure de l’affrontement, qui nous donnent à voir et à entendre la façon dont ces hommes et ces femmes ne se comprennent plus. A l’occasion de deux scènes qui en quelque sorte encadrent le film, Odile et Jean puis Daniel et Albert rejouent le même dialogue à deux reprises. Une fois dans le champ, et l’autre fois hors-champ, ils transforment de fait la conversation en monologue, chacun le déroulant seul, isolé dans le cadre bien que tous les deux présents dans le même espace. Le dispositif traduit soudain tout le décalage existant entre ce que l’un veut dire et la façon dont l’autre le reçoit. A l’entendre, Odile nous paraît terriblement injuste et accusatrice mais à la voir, ensuite, prononcer ces mots, les mêmes pourtant, cette même Odile semble juste être une femme qui souffre. Comme si le drame de toute liaison tenait dans cette inévitable inadéquation entre deux personnes persuadées de n’en être qu’une seule, mais dont la caméra nous expose frontalement l’éloignement.

Titre original : C'est l'amour

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Durée : 107 mn


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