Capitaine Mystère de Douglas Sirk

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Au début du XIXe siècle, au plus fort de la lutte opposant les Irlandais aux Anglais, Michael Martin quitte Ballymore pour Dublin, après avoir pillé l’intendant de lord Devereaux et s’être mis à dos les membres du comité. Poursuivi par les dragons britanniques, il est sauvé par John Doherty, le chef des partisans irlandais, et devient très rapidement son second…

Longtemps invisible en France, l’œuvre de Douglas Sirk se révèle peu à peu à nous depuis la rétrospective que lui consacra la Cinémathèque en 2006.

Essentiellement reconnu pour ses grands mélos hollywoodiens, c’est d’abord par ce biais qu’est ressortie son œuvre en dvd chez Carlotta, permettant de (re)découvrir des chefs-d’œuvre comme Mirages de la vie, Tout ce que le ciel permet ou le très personnel Un temps pour vivre, un temps pour mourir. Ces drames (pour la plupart réalisés en fin de carrière), sont pourtant l’arbre qui cache la forêt, Sirk ayant finalement œuvré dans tous les genres, en bon artisan hollywoodien, tout au long de sa carrière, que cela soit le western (Taza fils de Cochise), le film historique (le délicieux Scandal in Paris, adaptation de la vie de Vidocq), ou encore le péplum avec Le Signe du Païen.

Carlotta nous avait fait découvrir le versant « comédie » de Sirk l’an dernier, avec Qui donc a vu ma belle ? et No room for the groom, et s’attaque cette fois au film d’aventures avec ce Capitaine Mystère. Sans être un des fleurons du genre, ni le meilleur film de Sirk, un vrai bon divertissement auquel il prête tout son savoir-faire avec brio.

 

Le ton décontracté et trépidant surprend, avec un Rock Hudson révélant de belles capacités dans la comédie pure, plein d’allant en rebelle irlandais un peu plouc, totalement égaré dans un monde de complots et de faux-semblants. La distance que Sirk sait faire prendre à ses intrigues mélodramatiques fonctionne à plein dans ce contexte plus décontracté, et la première partie réveille les plaisirs qu’ont pu provoquer la lecture des œuvres d’Alexandre Dumas. Le personnage d’Hudson n’est d’ailleurs pas sans évoquer un D’Artagnan, dans son côté fonceur et irréfléchi. Cela occasionne quelques moments très drôles et survoltés, comme lorsque Hudson est "testé", en étant contraint d’affronter une grosse brute irlandaise dans un hôtel, sans parler des mémorables disputes avec le personnage de Barbara Rush, dont une où, excédé, il finit tout simplement par lui flanquer une bonne fessée.

Les qualités plastiques qui font le charme de ces mélos sont également de la partie, un scope somptueux magnifiant les extérieurs irlandais (film tourné entièrement en extérieur et en Irlande même, initiative rare à l’époque), des cadrages bourrés d’idées et une photo de toute beauté, même si moins flamboyante et irréelle que dans ses mélos, Russel Metty son chef opérateur habituel ne participant pas au film. Finalement, très peu d’action pure (même si une haletante scène d’évasion en conclusion), mais tellement entraînant et bien mené que l’on ne voit pas le temps passer, le tout se terminant sur un modèle de scène romantique.

En bonus, Bertrand Tavernier nous gratifie de son érudition légendaire en resituant le film dans la carrière de Sirk, établissant les liens thématiques et esthétiques avec ses films plus reconnus, le tout assaisonné de son fameux sens de l’anecdote.



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