Burning Days

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En pensant à Ibsen, Emin Alper illustre parfaitement le drame de nos démocraties fragiles.

L’enfer turc 

En compétition l’année dernière dans la sélection Un certain regard (décidément très riche en 2022), Kurak Günler (Burning Days) est un film turc d’Emin Alper servi par deux acteurs formidables (Selahattin Paşalı et Ekin Koç entre autres) et un suspens haletant qui place le film à la lisière entre film social et thriller. Le film est d’ailleurs tourné en Anatolie centrale où des gouffres profonds impressionnants et photogéniques se forment à cause des recherches d’eau. Le jeune procureur Emre vient d’être nommé dans cette petite ville entre traditions et modernité au fin fond de la Turquie. Il va se retrouver pris au piège de toutes une série de manigances visant à le faire changer d’idée. Il frôle même la lapidation et n’échappe pas non plus à la médisance, aux accusations de viol et d’homosexualité. Troublant, sexy et ravageur, ce film mené ainsi qu’un polar haletant se donne surtout comme réflexion sur la Turquie, mais aussi sur nos très fragiles démocraties. 

Toute ressemblance serait pure coïncidence

En effet, dans Burning Days, deux visions de la Turquie s’opposent. Un courant progressiste, citadin, tourné vers la justice sociale et le respect des autres, et un autre conservateur, autoritaire et populiste, souvent associé à la corruption et aux milieux ruraux. Un beau travail qui aurait mérité une récompense l’année dernière à Cannes et que Mémento sort juste avant la prochaine édition du festival. Bien sûr la ville est imaginaire, bien sûr rien n’est réel et pourtant on serait tenté d’écrire au début comme on le faisait autrefois : toute ressemblance avec des faits réels ne serait que pure coïncidence. En effet, on pourrait y reconnaître pas mal de pays, et pas seulement la Turquie comme le confie le réalisateur lui-même dans le dossier de presse du film : « Ces dernières années, nous avons été pris dans un cercle vicieux de ce genre. Non seulement mon pays, mais plusieurs autres connaissent des expériences similaires. J’ai donc décidé d’écrire une histoire pour dépeindre ce cas presque universel et transmettre la  solitude des gens qui sont consternés par la montée des populismes autoritaires. Yaniklar, où se déroule l’action du film, est une ville entièrement fictive mais c’est un microcosme de la Turquie. Il fallait créer un microcosme, comme Ibsen l’a fait dans Un ennemi du peuple. Cette pièce, écrite il y a près d’un siècle et demi, a été l’une de mes grandes inspirations. » 

Le problème de l’eau

L’exemple est d’ailleurs pertinemment choisi puisque dans la pièce d’Ibsen, tout comme dans le film d’Emin Alper, le problème de l’eau est au centre de l’histoire. Et c’est bien ici l’illustration de la dureté et de la vénalité de la société humaine qui ne récolte que les résultats de l’exploitation à outrance des ressources de la planète. Tout le monde va mourir mais certains s’acharnent encore à s’enrichir en appauvrissant les autres. Pour son quatrième long-métrage, Emin Alper nous propose une oeuvre parfaitement menée illustrée par des images magnifiques, notamment de beaux paysages dus au directeur de la photographie, Christos Karamanis, et qui va même au-delà de la dénonciation du populisme et de l’homophobie. Elle entre directement dans la problématique générale de l’humanité souvent traversée par des périodes de régression et de violence pratiquement incompréhensibles.  

Titre original : Kurak Günler

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Durée : 129 mn


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