Braqueurs

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Froide et méticuleuse plongée dans l’activité de braqueurs, qui vacille avec le bouleversement du récit.

A la question « As-tu une fascination pour l’univers du banditisme ? » posée à Julien Leclercq à l’occasion du dernier Festival du film policier de Beaune (1), le réalisateur répondait sans équivoque : « Ça ne me fascine pas, ça m’intéresse. ». On peut légitimement croire l’affirmation accentuée de ce dernier car elle s’applique à son dernier long métrage, Braqueurs. Si le cinéaste témoigne d’un goût prononcé pour les sujets liés au banditisme au sens large, faits de drogue, de guerre de gangs et de braquages, moteurs scénaristiques de sa filmographie (son précédent film, Gibraltar (2011), suivait un narcotrafiquant du détroit), on lui sait gré d’en faire une étude de genre plutôt rigoureuse davantage qu’un excitant très problématique au goût de cocktail Molotov (pour ne pas citer le dernier film de Jacques Audiard sorti l’an dernier…). Dans ce dernier film de Julien Leclercq qui prend pour décor la capitale et la région parisienne, plus particulièrement du côté de Sevran, rien, du moins au début, ne prend la tangente voyousarde que filmait Jacques Audiard.
 

 
Yanis (toujours belle présence de Sami Bouajila) est à la tête d’un trio de braqueurs de fourgons blindés qu’il forme avec deux autres hommes, Nasser et Frank. Auxquels se joint bientôt Eric. Méthodiques et disciplinés, leur travail apparaît parfaitement huilé et permet à Yanis de loger honorablement sa sœur, tandis que sa mère refuse de le voir en raison de son activité. Le mécanisme à l’œuvre dans l’opération des braquages est filmé avec professionnalisme et un montage au cordeau, qui brille par son rythme et sa concordance. On sent ici que le cinéaste a pu être judicieusement documenté à ce sujet. Ces scènes sont les plus intéressantes du film, leur ancrage fictionnel se fait dans une démonstration très minutieuse mais pragmatique, violente mais sourde, au fond assez glaçante. C’est la technique qui prédomine et qui s’impose dans le plan davantage qu’une implication émotionnelle liée aux braqueurs. Pas de fascination. Le film se place ici dans la lignée de films d’action, particulièrement américains, qui se démarquent par leur efficacité rigoureuse, tendance professionnalisme mannien. 
Cette teneur tend à disparaître lorsque le récit prend une toute autre tournure : à cause d’une erreur bête du petit frère de Yanis, Amine, les quatre braqueurs de fourgon blindé se retrouvent pris dans un engrenage au chantage qui les conduit à dévier de leur activité habituelle en devant braquer, pour le compte de dealers, un go-fast bourré d’héroïne. L’événement tourne mal et l’implacable Yanis voit la situation lui échapper et dégénérer. S’ensuit, naturellement dans ce genre de circonstances, une menace de représailles qui touche les proches des braqueurs. Suivant la roue libre d’une situation qui dégénère, le film se perd dans un enchaînement de bouleversements et de précipitations qui garde toujours sa froideur du début mais bascule dans une forme de surenchère et de facilité. Julien Leclercq montre son savoir-faire et son habileté dans le déploiement de scènes d’actions propres au genre (on aimerait cependant qu’elles soient moins exclusivement masculines) mais échoue lorsqu’il se tourne vers la mise en scène des situations privées de ses personnages.

(1) https://www.youtube.com/watch?v=aKmGF8ApcCc

Titre original : Braqueurs

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Durée : 81 mn


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