Dans Belle Dormant, déclaration d’amour d’Ado Arietta à un cinéma qui croit aux miracles, fait un pied de nez à ses contemporains, en opérant une réécriture de La Belle au Bois Dormant dans une forme à la fois anachronique, et consciente de la rupture qu’elle opère. Egon (Niels Schneider), prince du royaume de Letonia, s’ennuie copieusement, et n’a que sa batterie pour exprimer la fougue de ses sentiments, son besoin d’exaltation. Incapable de se suffire à sa condition, ni à embrasser son destin de futur roi, le jeune homme n’a qu’une idée en tête : traverser la jungle séparant son château du légendaire royaume de Kentz, dont l’histoire dit qu’une princesse y est endormie depuis un siècle, en attente du baiser qui la libérera de son triste sort. Soutenu dans son projet d’expédition par Gérard (Mathieu Amalric), son précepteur, ainsi que par une jeune archéologue (Agathe Bonitzer), Egon fera tout pour convaincre le roi (Serge Bozon) d’organiser son voyage dans les terres interdites et mystérieuses du royaume de Kentz. Après maints échecs, Egon se résoudra à partir seul à la rencontre de sa promise.
La magie est nécessaire
A la fois épris de naïveté et de fatalité, Ado Arrieta se résout à ancrer son film dans un monde plus ou moins proche du nôtre. En effet, bien que le royaume de Letonia reste fictif et distant de l’urbanisme citadin, de nombreux indices tendent malgré tout à ancrer le film dans un temps moderne, et relativement concret. Avec un certain amusement, un certain décalage aussi, les objets de notre époque apparaissent ponctuellement, de manière quasi-anachronique, et finissent par recouvrir la même étrangeté qu’une baguette magique. Ainsi, la batterie, le smartphone, la voiture, l’hélicoptère et la musique électronique, viennent se mélanger à la tonalité très premier degré du conte. Ce décalage, humoristique au demeurant, et très à la mode depuis quelques années dans le cinéma français (avec en tête, le cinéma d’Antonin Peretjatko), trouve ici une nuance non négligeable. Là où les jeunes réalisateurs de la génération « Nouvelle Nouvelle Vague » cultive le décalage comme pur motif de cinéma – à la manière de Jacques Demy dans Peau d’Ane (1970), qui venait se conclure par l’arrivée inopinée d’un hélicoptère transparent -, Arrieta, au contraire, entretient l’espoir fou de faire cohabiter des temps antagonistes.
Le temps d’une histoire
De fait, au point culminant du récit, lorsque la princesse se heurte à l’aiguille qui l’endormira pour toujours, le film épouse une forme d’instantanéité surprenante, d’autant qu’on s’attendrait, par habitude, à le voir noyé dans d’innombrables procédés de dilatation. Au contraire, toute l’intelligence du cinéaste consiste à montrer, par le montage, que la magie n’a besoin de rien d’autre que d’advenir, pour exister. Avec une fluidité et une grâce absolument exceptionnelles, la princesse s’approche de la mauvaise fée, alors dissimulée dans le costume d’une ouvrière, son doigt effleure la pointe de l’aiguille d’un appareil de tressage, elle tombe, et s’endort dans un ultime geste dansé.