Au commencement

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Rigide esthétique

Étouffante peinture

Une salle anonyme se remplit petit à petit de fidèles ; les portes se closent et le chef religieux des témoins de Jéhovah commence son prêche. Jusqu’à l’instant où les premiers cocktails Molotov s’abattent sur le temple. Plastiquement parlant, Au commencement est époustouflant. Quasi intégralement constitué de cadres fixes, chaque plan du film, chaque composition de ses espaces, allant des collines dans le lointain desquelles s’inscrivent les montagnes du Caucase, aux forêts alentours, à l’environnement urbain, jusqu’aux intérieurs froids et parfois lugubres des habitations, relèvent d’une véritable science de la composition. Offrant le somptueux tableau d’un environnement géorgien qui prête pourtant à la déprime, et pas seulement du fait de la grisaille du climat, mais bien à cause de l’ambiance distillée par Dea Kulumbegashvili. Car au sein de ces cadres, prend place l’histoire de Yana, la femme du chef des témoins de Jéhovah et la mère de son fils. Bien que le sujet de la persécution religieuse ouvre le film, une fois que le mari laisse sa femme et son garçon seuls (ayant affaire à la capitale) l’attention se déporte sur Yana et son parcours au sein de la région ; elle qui est une enfant du pays. Cette dernière commence à subir des pressions pour que son mari retire la plainte déposée à la suite de l’incendie du temple. Très vite, Yana se fait menacer par un étrange individu se prétendant policier et qui n’aura de cesse de s’introduire au plus profond de son intimité, avant de la violer.

     

Silencieuses souffrances

Pour dépeindre l’atmosphère pesante entourant son histoire, en plus des plans généralement fixes dans lesquels Yana n’aura de cesse de déambuler (parfois flanquée de son fils) la réalisatrice a recours au temps long : celui de plans séquences dont la durée est utile à faire ressentir au spectateur la lourdeur et la tension permanente que subit Yana. Cette lenteur donnant aux séquences des allures interminables, voire insupportables, quand les pressions psychologiques et physiques s’accentuent ; le tout étant parachevé par le contraste émanant de la beauté de l’environnement dans laquelle se déroule l’action. Pour immerger d’autant mieux son spectateur, le film travaille particulièrement son ambiance sonore. L’absence de musique étant couplée à un faux calme parcourant les séquences, constitué de multiples bruits et sons de la nature ou des intérieurs, parmi lesquels vient se mêler la tendance au silence des personnages. Silence renvoyant aussi bien à la soumission de Yana à son statut de femme dominée, qu’au mystère de sa personnalité et de ses convictions profondes. Évoquant une incommunicabilité ou une intériorisation des souffrances endurées ; situant le film quelque part entre ceux de Théo Angelopoulos et Sharunas Barthas. Par voie de conséquence, la fixité des cadres n’aura de cesse de métaphoriquement renvoyer à la rigidité de la société géorgienne, et notamment, à la rigidité de son rapport entre hommes et femmes ; ces dernières étant condamnées à être assujetti et à endurer la violence continue d’une société patriarcale. Qui plus est, l’éducation est un sujet parallèle d’Au commencement. Régulièrement, ce dernier met en avant l’enseignement religieux dispenser par Yana à ses jeunes ouailles (dont fait partie son fils) qui, bientôt, seront baptisés à la rivière ; éducation à la morale dans une atmosphère en semblant dépourvue. Posant la question de la possibilité d’être bon, juste et d’éduquer correctement les générations futures, dans un environnement hostile où règne le mal. La réponse à cette question se trouve dans la conclusion du parcours de Yana ; conclusion fortement pessimiste.

                                                 

Manque d’empathie

Mais, bien qu’il soit une réussite formelle, le film est pourvu d’un point faible : la radicalité de son esthétique tend à mettre ses personnages à distance du spectateur, qui aura alors du mal à éprouver de l’empathie envers eux. Du fait de ce manque d’empathie, certaines scènes en prennent un aspect non plus angoissant, mais maladroit, hésitant, voire malaisant. Malaisant, car le public, à cause cette mise à distance, se trouve parfois rétrogradé au statut de voyeur, là où il devrait être acquis au point de vue de Yana. C’est particulièrement le cas durant le premier interrogatoire de l’inspecteur de police (en réalité responsable de l’incendie) ou encore, durant la (longue) séquence de viol. Amenant une ennuyeuse conséquence : le rythme lent du film, devant transcrire l’insidieuse et omniprésente violence de société se retourne contre lui et il en devient, par moments, ennuyeux. En découle qu’Au commencement est un film relativement inégal, pourvu d’indéniables qualités esthétiques, poétiques, mais qui sont malheureusement atténuées par une forme de faiblesse scénaristique, issue d’une trop grande sophistication de son dispositif esthétique. Demeure que le film dispose de très bons acteurs, parvenant à donner corps à leur personnage ; ce qui est particulièrement vrai d’Ia Sukhitashvili, incarnant de façon très crédible Yana ; mère de famille perdue dans ce monde à la rigidité mortifère. De plus, certaines des séquences sont pourvues d’une étonnante beauté hypnotique, comme l’endormissement de Yana au sein d’une forêt, baignée des doux et reposants sons de la nature.

     

Titre original : Dasatskisi

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Durée : 130 mn


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