Amants et fils (Sons and Lovers)

Article écrit par

Cette adaptation de 1960 du troisième roman de D.H. Lawrence (auteur de L´amant de Lady Chatterley, récemment mis en images par P. Ferran) éblouit par la beauté de ses images et la puissance de son histoire, dilemne entre liberté et amour à l´aube d´une ère nouvelle.

La réussite visuelle du film n’étonnera qu’à moitié ceux qui auront rattaché le nom de son réalisateur à ses autres oeuvres : Jack Cardiff fut avant tout un immense chef opérateur, qui travailla par exemple sur African Queen (John Huston), Les Vikings (Richard Fleischer) et même Rambo II. Sa longue carrière (il est né en 1914) fait de lui un témoin unique de décennies de cinéma classique, justement récompensé pour ce film d’un Oscar de la meilleure photo et d’un Golden Globe du meilleur réalisateur.

Classique – le style d’Amants et fils l’est assurément ; mais il n’est pas pour autant figé ni surchargé. Ce qui frappe en premier à la vision de ce film est l’utilisation du noir et blanc en Cinémascope, somptueux, dont on savoure la puissance d’évocation avec ses cadrages précis et sa restitution toute en contrastes subtils d’un monde imaginaire.

Les personnages ici présentés sont nés et vivent dans un environnement particulier : celui de l’Angleterre à la fois rurale et industrielle. Le film s’ouvre d’ailleurs sur deux images qui disent le choc de l’ancien et du nouveau : le moulin à eau, reliquat des activités humaines liées à la nature immuable et la mine, nouveau centre du village, qui domine, de ses enchevêtrements de morceaux de fer et de roues suspendus dans les airs, la vie des habitants.
En ce début de XXème siècle, c’est cette mine qui cristallise le futur des hommes, ainsi que l’illustre la destinée de la famille Morel. Le père est mineur depuis ses 12 ans ; de ses trois fils, seul le dernier (Arthur) l’y a accompagné alors que l’aîné est parti vivre à Londres. Reste Paul, qui se cherche tout en sachant qu’il ne veut pas de ce destin. La mort d’Arthur dans une explosion est le révélateur des espoirs déçus des membres de la famille et, pour Paul, le début du combat pour pouvoir mener sa vie selon ses propres désirs.

Le combat de Paul est tout intérieur, pris qu’il est par les souhaits contradictoires de ses parents et l’immaturité de ses sentiments. Doué pour la peinture, il refuse l’offre d’un riche mécène de l’envoyer étudier à Londres et préfère rester auprès de sa mère qui peut dès lors continuer à jouer de son influence sur lui ; amoureux, il est tour à tour attiré par Miriam, amie d’enfance qui craint l’amour charnel (élevée par une mère religieuse pour qui on ne vient au monde que pour souffrir) puis par Clara, femme mariée dont les positions féministes n’empêchent pas le devoir envers son mari infidèle, qui lui fait, elle, découvrir le plaisir physique.

Tous, à leur manière, ces jeunes hommes et femmes sont tiraillés par leur attachement à leurs parents et leur besoin de s’émanciper, entre autres par l’amour. C’est qu’ils sont tous des fils (et filles) et des amants (au sens d’amoureux) – le titre original place les deux substantifs dans cet ordre, signifiant plus clairement qu’en français (manie de changer les titres!) qu’il y ait un ordre de priorité dans ces qualificatifs : ils sont d’abord des enfants, et les filles sont autant concernées que les fils, et seulement ensuite des personnes capables de s’épanouir dans l’amour.

Cardiff propose une lecture de Lawrence assez fidèle, en restituant une large partie de son roman autobiographique ; il s’approprie tout particulièrement le contexte social de l’histoire et montre, avec ce qu’il faut de distance pour ne pas tomber dans le pamphlet, la violence des rapports sociaux dans cette Angleterre férocement marquée par la lutte des classes. Il met ainsi au jour l’espèce de déformation que les clivages sociaux et économiques créent dans les esprits. Le personnage qui résume tout cela est celui de la mère de Paul : femme mal mariée à un mineur alcoolique, elle reporte sur ses fils son désir d’une vie meilleure ; spécialement attachée à Paul, elle l’empêche pour autant de suivre sa voie, le retenant par une pression subtile et par sa jalousie. Cette mère, avec toutes ses ambiguïtés, est le personnage central du film, elle incarne la douloureuse transition qui marque son époque, passage vers l’âge adulte pour les hommes et entrée inévitable dans une société moderne ouverte par la révolution industrielle.

Amants et fils restitue la complexité de ces liens avec force sensibilité (et non sensiblerie). Sans excès de démonstration, servi par une interprétation juste de tous ses comédiens (dont Dean Stockwell dans le rôle de Paul, que les habitués des séries télé reconnaîtront vieilli dans Code Quantum), il souligne la difficile mise en relation d’hommes et de femmes qui semblent injustement prédestinés par leur statut personnel et social. La finesse avec laquelle il le fait tient en de magnifiques fondus-enchaînés, images d’un oeil, d’un couple qui s’embrasse, qui viennent en surimpression sur celles d’un village d’apparence calme (mais où l’on sait que les rumeurs courent vite), espace ouvert et pourtant si clos sur lui-même, et dont le bouleversement est déjà en marche.

Titre original : Sons and Lovers

Réalisateur :

Acteurs : , , , , , , ,

Année :

Genre :

Durée : 102 mn


Partager:

Twitter Facebook

Lire aussi

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Darling Chérie de John Schlesinger : le Londres branché des années 60

Autopsie grinçante de la « dolce vita » d’une top-modèle asséchée par ses relations avec des hommes influents, Darling chérie est une oeuvre générationnelle qui interroge sur les choix d’émancipation laissés à une gente féminine dans la dépendance d’une société sexiste. Au coeur du Londres branché des années 60, son ascension fulgurante, facilitée par un carriérisme décomplexé, va précipiter sa désespérance morale. Par la stylisation d’un microcosme superficiel, John Schlesinger brosse la satire sociale d’une époque effervescente en prélude au Blow-up d’Antonioni qui sortira l’année suivante en 1966.

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

La soif du mal : reconstruction d’un « pulp thriller » à la noirceur terminale

En 1958, alors dans la phase de postproduction de son film et sous la pression des studios Universal qualifiant l’oeuvre de « provocatrice », Orson Welles, assiste, impuissant, à la refonte de sa mise en scène de La soif du mal. La puissance suggestive de ce qui constituera son « chant du cygne hollywoodien » a scellé définitivement son sort dans un bannissement virtuel. A sa sortie, les critiques n’ont pas su voir à quel point le cinéaste était visionnaire et en avance sur son temps. Ils jugent la mise en scène inaboutie et peu substantielle. En 1998, soit 40 ans plus tard et 13 ans après la disparition de son metteur en scène mythique, sur ses directives, une version longue sort qui restitue à la noirceur terminale de ce « pulp thriller » toute la démesure shakespearienne voulue par l’auteur. Réévaluation…