300 – la Naissance d’un Empire

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Une séquelle tardive qui s’obstine à ne rien comprendre de son modèle, et qui à confondre emphase et démonstrativité, efficacité et dilettantisme, tombe dans le grand n’importe quoi anti-iconique.

Un résumé des événements de la guerre entre la Perse et la Grèce, de la mort de Darius à Marathon aux batailles suivant celle des Thermopyles. L’on suit cette fois la destinée de Thémistocle et des Athéniens, et leurs tentatives pour unifier les cités grecques contre l’envahisseur et notamment Artémise, grecque d’origine à la tête de la flotte de l’empereur-dieu Xerxès.

Voilà un projet bien étrange. De ces hypothèses fantasmatiques de soirées entre potes, qui ne tiennent pas le premier examen de faisabilité parce qu’elles ne passent en toute logique pas la seconde réflexion quant à leur pertinence. En effet, pourquoi vouloir, d’un point de vue thématique et narratologique, broder autour d’un récit qui tient sur son concept tendu, sur sa concision et son apparente simplicité ? Pourquoi titrer "300" un film qui ne subit pas la contrainte d’une armée limitée à 300 hommes ? Et quel est l’intérêt de réduire l’aura mythologique d’un récit dont le propos étaient de rendre légendaires ses protagonistes et événements, en y jetant une lumière crue sans commune mesure avec le traitement qui faisait tout le prix de l’original ? Pourquoi si peu de perspective ? Nous sommes, il est vrai, à une période où Hollywood lance ses franchises les plus onéreuses sur un cameo de Samuel Jackson à la fin d’un Iron Man (2008)…

300 (2007) a dans la cinéphilie contemporaine un statut comparable à celui qu’a pu avoir Matrix au début des années 2000. A savoir une indéniable date technique et esthétique, un film qui, s’il n’invente pas à proprement parler ses procédés qualifiés hâtivement de révolutionnaires, contribue à cristalliser la tendance pour l’imposer durablement. De même que Matrix rendait durablement tangibles des idées (techniques, esthétiques) qu’on avait pu deviner de Dark City (1998) à Blade (1998), 300, dans son projet dingue de fabriquer un péplum épique dans un hangar, finissait de rendre impossible à ignorer les expérimentations techniques et esthétiques de Sin City (2005) à Lord of the Rings (2001), et entérinait la maturité de procédés et de pratiques qui aujourd’hui ne suscitent plus de méfiance que dans les rédactions les plus catafalqueuses de notre cinéphilie nationale : inflation de décors sur fonds verts, stylisation extrême de la photographie et du découpage (de la pose pour certains), prépondérance de la postproduction et de l’effet optique, avec les effets logiques de ces bouleversements sur les modes de production. Les deux films ont été d’ailleurs autant conspués que célébrés pour leur formalisme et leur style dramatisé, mais ont aussi pris un certain coup de vieux prématuré, aidés en cela par une palanquée d’ersatz médiocres qui n’émulent qu’à leur valeur faciale leurs avancées les plus reconnaissables. Combien d’empoignades martiales surdécoupées et illisibles, de personnages sans charisme vêtus de cache-poussières en cuir noir, de bullet-time gratuits, ont suivi Matrix ? De même, on ne compte plus les épopées en balsa sur fond de percussions et cuivres tonitruants, bourrées de photographies désaturées et jaunâtres, de ralentis au petit bonheur la chance et d’action incrédible à force de pousser le bouchon, écume de la vague qu’a représenté le film de Snyder. Cette suite mal pensée en est d’ailleurs le dernier représentant en date.

Car tout dans ce projet, de son principe à sa mise en œuvre, sent l’incompréhension volontaire et forcenée non seulement de la facture de l’original, mais aussi de ses enjeux en termes de production et de construction thématique. Le projet semble en tous cas précipité en regard de son objet, dans la mesure où le Xerxès de Frank Miller a été remis aux calendes grecques, entre autres pour cause de Sin City 2. De là a conclure que Snyder et Miller (à la production) et leur protégé Noam Murro (à la caméra) naviguent à vue, il n’y a qu’un pas que le résultat aujourd’hui sous nos yeux aide grandement à franchir. Ne retenant de 300 que son imagerie, sans jamais réfléchir à ce qui la sous-tend, ce Rise of an Empire ratisse aussi large que possible et lénifie l’ensemble de son histoire : adieu donc au paradoxe d’une société spartiate poussant son élitisme au service de la liberté (le film s’ouvrait quand même sur la vision frontale de l’eugénisme à Lacédémone), bonjour à des Grecs qu’on a ramené au rang de G.I.s antiques. C’est ainsi qu’on passe par toutes les scènes obligées de séries télé pour vétérans de type Band Of Brothers, avec grands discours toutes les dix minutes sur la responsabilité, la patrie et les familles restées à la maison, dilemmes moraux américano-centrés, et même la mort d’un personnage dans les bras d’un autre qu’on jurerait avoir déjà vue dans Tropic Thunder (2008) ! Par la même trappe, s’écoule le vérisme culturel que convoquait au moins à la marge le film de 2006 : par exemple, pas un Grec en deuil (et on nous en agite pas mal sous le nez) ne se couvre la tête de cendres alors que le père d’Astinos accomplit ce geste dans 300…

Cet ethnocentrisme explique sans doute grandement LE gros point noir du film, à savoir le miscast total d’Eva Green en Artémise, pourtant le personnage de loin le plus séduisant du film. Il ne s’agit pas ici de contester la légitimité intrinsèque d’Eva Green en tant qu’actrice (ah non), simplement de pointer la disparité de son emploi et de ce rôle en particulier. Pour résumer, c’est la guerrière d’origine grecque la moins crédible au cinéma depuis Jennifer Gardner en Elektra. Tout, chez l’actrice, de sa diction à ses expressions, de sa gestuelle à son magnifique profil patricien, hurle le 5ème arrondissement de Paris – ce n’est pas forcément une mauvaise chose en soi, mais c’est un emploi très restreint quand on prétend camper une cheffe de guerre jusqu’au-boutiste, prostituée depuis son enfance et au cuir tanné par les soleils et écumes de tout l’empire Perse. Seulement cette perspective sur l’erreur de casting n’est aussi criante que de notre côté de l’Atlantique. Eva Green fait carrière aux Etats Unis, où le seul fait d’être français confère automatiquement l’exotisme requis pour jouer tout étranger au nouveau monde; assortie à sa présence à l’affiche de Sin City 2, il n’en aura pas fallu plus pour la qualifier de cast "parfait"… Et cela n’est rien face à la caractérisation confinant au foutage de gueule : ainsi Artémise est recceuillie et entrainée par l’émissaire du premier film sans qu’on sache trop en quel honneur, et se permet carrément d’insulter son empereur lorsqu’il la contrarie avant d’aller faire ce qui lui chante avec une armée entière, sans être plus inquiétée que ça. Dans une nation où l’on décapite à tours de bras pour la moindre contrariété, quel pouvoir ! On est tout de même régulièrement estomaqué que Miller et Snyder aient multiplié des choix à aussi courte vue sur un projet dont on se demande, finalement, s’ils y tiennent.

Car tout ou presque est du même métal dans le film, à croire parfois que ce Rise of an Empire entreprend le même travail de sape revancharde sur un modèle dont il ne comprend pas les dynamiques, que l’a fait Dark Knight Rises (2012) avec Dark Knight (2008). C’est-à-dire que tout ce qui était autonome, vivant, ou possédait un souffle mythologique s’y voit ratiboisé, plaqué au sol et abâtardi jusqu’à la stérilité. Au prix des pires invraisemblances et reniements thématiques. Ainsi d’Ephialtès devenu incongrument sarcastique, de Xerxès montré comme un strict pantin dandy seulement capable de se tenir sur des promontoires, de Daxos devenu un banal coursier, mais aussi et surtout de Lena Headey en reine Gorgo : peut-être pour capitaliser sur la notoriété de l’interprète de Cercei Lannister dans Game of Thrones, la voilà artificiellement bombardée tour à tour narratrice (à la manière de Delios dans le premier), capitaine de marine, guerrière émérite et bretteuse pleine de hargne, au côté d’ailleurs d’un homme dont son mari récemment décédé combattait les ambitions… Si la prépondérance du rôle des femmes dans l’original, quoique condamnée par certains comme un contresens thématique d’avec le comic (le signe d’assentiment avant le "this is sparta" en particulier), trouvait une justification dans le discours féministe (certes naïf) qui irrigue l’œuvre de Snyder. Ici, on se demande bien ce que défend Murro avec cette alternance de fadeurs embarrassantes et de surenchères grotesques, tant l’ensemble de son exercice consiste à ne gêner personne et à ménager toutes les chèvres et tous les choux : qu’on ne se méprenne pas face à la démonstrativité gore et cul qui émaille le film au point de le faire tourner au ridicule : ce 300 ne choque jamais qu’avec la forme, pour cacher l’amputation totale de sa substance.

C’est donc à un inventaire de la beauferie et du saccage que se résume bientôt la projection; saccage et beauferie dont Murro n’est que l’instrument et qui sont hélas surtout le fait de Snyder lui-même. Evidemment, puisque le film se base sur un modèle formaliste, c’est au niveau de sa forme qu’il se couvre effectivement de ridicule. La mise en scène ne propose rien de cohérent, avec une 3D exploitée uniquement dans la première bobine, collant des ralentis partout sauf aux moments-clef des actions, et toujours dans une topographie hasardeuse (on met quiconque au défi de comprendre ce qui se passe lors de la seconde bataille navale ou de l’assaut de Marathon), posant des personnages unidimensionnels et des situations qui émulent platement ceux du premier, sur une musique sans souffle mais toujours tonitruante. Le problème est que dans un univers où la forme était le principal vecteur du sens du récit, ledit récit, déjà ténu pour cette suite, perd tout ce qu’il pouvait posséder d’intérêt. A part à vouloir tuer l’histoire racontée précédemment, la chose est inexplicable car impossible à corréler uniquement à un manque de compétence : comment en effet cautionner, ces compositings dégueulasses, ces plaisanteries homophobes, ces revirements constants de caractères, ces visages falots moins mémorables qu’un moulage en latex de la tête de Léonidas, ce gore de cartoon (une pichenette et on perd un bras dans des gerbes de sang numérique modélisé avec des mouffles), ces pubs de parfums pour hommes où l’on chevauche des destriers à travers des incendies en pleine mer, où l’on fait exploser des pétroliers en nageant la brasse sous les projectiles les plus divers (ça fait beaucoup pour la Grèce antique, non ?), et où l’on exhibe du nichon sans autre but que celui d’écoper d’un classement R ? La scène de sexe en Themistocle et Artémise, à ce niveau, est d’un grotesque et d’un vain rarement atteint ces dernières années sur un écran : l’empoignade ne sert en effet qu’à sortir une vanne aussi épaisse qu’un gif animé circonstanciel sur un tumblr de lycéen, et à faire une autoréférence attendue lors du duel final, où l’arme blanche remplacera les appendices de chair, mais sans aucune mise en abyme ni sens de la métaphore, sans que quoi que ce soit dans l’épisode n’ait un quelconque poids symbolique, dans la mesure ou aucune opposition effective de caractères n’est esquissée à aucun moment du film.

 

Comment donc assumer cette déconfiture ? En l’appelant, manifestement, de ses vœux. Deux détails tendent à le prouver : l’inversion du statut de la narration dans l’histoire qu’on nous montre, et la séquence d’ouverture. Dans 300, le récit de Délios encapsule complètement le métrage, établissant de fait le statut mythologique de ce qui y est raconté ; Léonidas y est posé selon les canons du récit classique, et Xerxès y apparaît sortant de nulle part comme la déité qu’il prétend être. Dans Rise of an Empire, Gorgo commence à raconter les faits alors qu’elle y prend part, en omettant les évènements les plus récents (les Thermopyles) mais en posant de sordides petites considérations sur un Xerxès désiconisé à l’extrême et donc plus menaçant du tout. Surtout elle le fait après un court prologue et avant de rejoindre l’action qu’elle évoque. Dans le premier cas , les récit sur un mode épique est une fin en soi, dans le second il n’est qu’un passe-temps pour le voyage. Autrement dit, rien n’est plus versifié parce que tout est sans forme, chaotique, sans signification d’aucune sorte. Une négation de l’essence même de 300, confirmée dès la première séquence où l’on voit Léonidas, mort, être d’emblée mutilé et trivialisé en tant qu’accessoire qu’on trimbale et avec le quel on s’amuse un peu avant de ne plus trop savoir qu’en faire et de l’oublier dans un coin afin de faire place à la grande foire au n’importe quoi qui se déroule dans le bruit, la fureur et surtout l’insouciance. Belle manière de faire table rase, Zack, on se croirait définitivement dans un Rodriguez, ou un God of War sur smartphone. Bravo.

Titre original : 300: Rise of an Empire

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Durée : 102 mn


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