17e Arras Film Festival : Bilan

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Le 17e Festival du Film d’Arras s’est achevé ce 13 novembre. Retour sur les films d’une compétition qui a tenu toutes ses promesses.

La dix-septième édition du festival d’Arras vient donc de s’achever ce dimanche 13 novembre après dix jours intenses, riches en émotions et rencontres. Le festival est désormais un moment incontournable de la vie culturelle de la région Nord-Pas-de-Calais, et il rayonne bien au delà de celle-ci de par son approche très éclectique dans la programmation générale (quatre-vingt avant-premières et rétrospectives thématiques avec cette année un cycle très complet sur la guerre d’Espagne), mais surtout par une sélection méticuleuse et exigeante des films en compétition avec la volonté de la directrice Nadia Paschetto et du Délégué général Eric Miot de les choisir – en dehors de leur qualité artistique primordiale – en fonction de leur capacité à nous aider à mieux comprendre le monde et à remuer les consciences ; privilégiant l’humain, le partage, la compréhension de l’autre. Aussi, comme l’année dernière, nous nous sommes concentrés pour cette dix-septième édition sur les neuf films en lice dans la compétition européenne, très majoritairement constituée par des productions de pays d’Europe de l’Est. Un cinéma, des cinémas souvent d’une très grande qualité, percutants et qui nous permettent de lever ne serait-ce qu’un coin du voile sur la réalité de pays, de peuples, que nous connaissons encore si peu, vingt ans après la chute du bloc communiste.
Mais avant d’évoquer les films en compétition, il nous est impossible de ne pas signaler le dernier film de Jeff Nichols, Loving (sortie française le 15 février 2017), qui fut sans nul doute le point d’orgue des avant-premières cette année à Arras. Dans son nouvel opus, le réalisateur américain nous subjugue à nouveau en racontant l’histoire vraie d’un couple mixte à la fin des années cinquante dans l’état alors ségrégationniste de Virginie, aux Etats-Unis. Condamnés à vingt-cinq ans d’exil dans un autre état parce qu’ils sont allés se marier dans le comté voisin alors que les lois de leur terre natale interdisent les mariages entre noirs et blancs, un avocat des droits civiques portera finalement le cas des bannis devant la Cour suprême et obtiendra de cette dernière que la Constitution soit modifiée en déclarant désormais illégale la ségrégation raciale. Nous ne pouvons qu’admirer dans Loving la sobriété du récit, la lumineuse simplicité avec laquelle Nichols filme l’histoire de ce couple qui malgré lui est pris dans le tourbillon de l’histoire. Contrairement à certains réalisateurs qui ont abordé ce thème toujours brûlant de la ségrégation raciale en prenant un parti radical ou en utilisant le canevas attendu de montrer plus qu’il ne faut la partie juridique qui se joue, Nichols, ici, se détourne du tribunal pour ne s’attacher qu’au couple et à son amour inaltérable. Pas de pathos chez le prodige américain, mais une extrême sensibilité dans le filmage, un simple regard pouvant en dire mille fois plus sur l’amour entre deux êtres que de lourdes et mièvres démonstrations
 
 

Loving de Jeff Nichols
 

Mais si Jeff Nichols privilégie l’intimiste pour raconter un combat plutôt que des arguments militants et idéologiques, il n’en demeure pas moins que ce combat reste le cœur de son sujet. La lutte, la résistance d’un individu ou de plusieurs contre un système, pour la dignité, ou pour survivre tout simplement, est justement le thème qui traverse la majeure partie des films qui étaient en compétition cette année. A commencer par le très beau Paula de l’Allemand Christian Schwochow qui évoque la courte existence du peintre Paula Modersohn au début du siècle. Le film de Schwochow nous dévoile le génie d’une artiste – encore de nos jours relativement méconnue – dont la peinture en rupture avec le classicisme en vogue à son l’époque nous fait penser un peu à celle de Paul Gauguin. Avec Paula, le réalisateur allemand a parfaitement relevé le défi qu’impose un long métrage sur un maître de la peinture : que chaque plan soit un tableau, chaque cadre une mise en scène enchanteresse. Mais en plus de tableaux magnifiques, Paula nous offre un portrait de femme en lutte permanente pour son accomplissement artistique et personnel, ce qui en fait incontestablement l’un des films les plus accomplis de la sélection.

 
 

Paula de Christian Schwochow
  

Une femme en lutte, c’est aussi le thème du percutant Anna’s Life de la Géorgienne Nino Basilia. Anna vit seule à Tbilissi. Elle cumule les petits boulots pour financer les soins pour son jeune fils autiste. Pour échapper à cette existence, la jeune femme vend son appartement afin de payer un visa pour les Etats-Unis au marché noir…Le style du film que l’on pourrait rapprocher aisément du réalisme des Frères Dardenne est un coup de poing tant il nous montre avec force et simplicité le combat d’une femme prise dans une nasse. La vie d’Anna peut nous paraître dure pourtant selon Nino Basilia, que nous avons rencontrée, beaucoup de gens en Géorgie vivent ce qu’endure son héroïne, cela n’a rien d’exceptionnel.

Beau portrait de femme aussi que celui dressé par le réalisateur croate Zrinko Ogresta dans son On the Other Side. Nous sommes à Zagreb. Vesna, la cinquantaine, infirmière à domicile de son état vit seule mais voit souvent sa fille et son fils. Tout va bien jusqu’au jour où elle reçoit un coup de fil de son mari qu’elle n’a pas revu depuis une vingtaine d’années. Nous comprenons par petites touches qu’ils se sont séparés au moment de la partition de la Yougoslavie. Lui vit à Belgrade. Il est banni de Croatie car il a été très certainement l’auteur d’exactions pendant la guerre civile en tant que militaire serbe. On The Other Side est d’une grande subtilité et révèle par le biais de l’intime, là aussi, plutôt que par une extériorité violente, les blessures que suscitent les pierres encore brûlantes des ruines d’une guerre civile. Ce film, en raison de ce sujet remarquablement traité et de la très belle interprétation de Vesna par Ksenija Marinkovic, aurait été notre lauréat.

 

On the Other Side de Zrinko Ogresta
  

Dans We Are Never Alone du Thèque Petr Vaclav ce n’est pas au retour d’un passé douloureux que l’héroïne est confrontée mais bel et bien à un présent violent, lugubre et sans pitié. Jana vit à la campagne entre un mari hypocondriaque et un voisin paranoïaque. Un voyou du coin l’embauche bientôt comme prostituée dans une boîte de nuit. L’oeuvre dépeint une société en perte de repères. Société de la méfiance, raciste, du chômage et de l’ennui. Vaclav dénonce ici clairement les avatars du néo-libéralisme qui a bouleversé les sociétés des pays de l’Est après la chute du mur.

Sans plus de repères, égaré, ce peut-être le cas d’un homme qui a n’a plus le droit de voir son enfant parce qu’il conduisait ivre et drogué la voiture dans laquelle sa compagne et mère de sa fille a trouvé la mort. C’est cette histoire apparemment convenue (un père privé de son enfant) que nous raconte Waldstille, le deuxième long du jeune réalisateur néerlandais Martijin Maria Smits. Si le sujet est vu et revu, Smits fait preuve d’une belle maîtrise à la fois formelle et sur le fond. Rien n’est asséné dans ce film, tout est suggéré, la colère d’un homme comme l’amour. Sans larmes superflues ni pathos, Waldstille est un film brutal, qui a du sang.
Dans un autre genre mais tout aussi percutant, le Glory de Kristina Grozeva et de Petar Valchanov relate avec force, en autres thèmes, les maléfices de l’argent et de… l’honnêteté. Un cheminot retrouve sur une voie ferrée un sac rempli de billets de banque. Il remet la totalité de la somme aux autorités… Amené par un journaliste à dénoncer une affaire de corruption dont il a connaissance, il sera arrêté et bastonné par la police. Là aussi nous assistons au combat d’un homme sur qui la foudre s’abat parce qu’il a été vertueux ; mais l’essentiel du film n’est pas là. En effet, les cinéastes en montrant, parallèlement, d’une part la communicante du ministère (chargée de décorer Petrov pour services rendus) s’administrer des doses d’hormones, entre deux coups de téléphone, pour féconder artificiellement un enfant et, d’autre part, le sort du cheminot qu’il faut absolument faire taire pour préserver sa carrière, démontrent toute l’indécence que peut revêtir parfois notre société. D’un côté un enfant qu’on s’injecte entre deux réunions comme on prendrait un régime de vitamines le matin et à côté de cela l’oubli de toute attention à son prochain, l’abandon de sa responsabilité envers autrui…

 


Glory de Kristina Grozeva et Petar Valchanov

 
Roues libres du Hongrois Atilla Till, lui, un peu loufoque, a frappé par son originalité et son audace. Il s’agit de l’errance de trois jeunes handicapés aux prises avec la mafia. Till ne mégote pas sur l’hémoglobine et les gros calibres mais son film est emprunt d’une certaine poésie d’autant plus qu’il réserve une surprise scénaristique en forme de mise en abyme.
À noter enfin dans cette sélection le Welcome to Norway du Norvégien Denstad Langlo dont le sujet, l’accueil des migrants, on ne peut plus d’actualité, est ici traité avec humour sans éluder les questions sérieuses qu’il pose. Et pour finir, un documentaire, Houston We Have a Problem, du Slovène Ziga Virc, mêlant habilement la fiction avec des bandes d’actualité afin de dénoncer la mode des théories du complot.
En définitive nous pouvons dire que cette dix-septième édition du festival du film d’Arras est une fois de plus une réussite. L’affluence (environ 40 000 entrées) fut sensiblement la même que l’année dernière et trois films en compétition ont dors et déjà – d’après nos informations – trouvé un distributeur pour le marché français. Il s’agit de Welcome to Norway, Paula et Roues libres. En espérant que d’autres films trouveront preneurs bientôt et notamment le captivant On The Other Side.

Palmarès du 17e Arras Film Festival :

ATLAS D’OR :
Glory de Kristina Grozeva & Petar Valchanov

ATLAS D’ARGENT (PRIX DE LA MISE EN SCÈNE) :
Anna’s Life de Nino Basilia

MENTION SPÉCIALE DU JURY :
Roues libres de Attila Till

PRIX DU PUBLIC :
Roues libres de Attila Till

PRIX REGARDS JEUNES :
Roues libres de Attila Till

PRIX DE LA CRITIQUE :
Roues libres de Attila Till

Image d’en-tête : Noreen Nash, actrice américaine égérie du Festival d’Arras 2016


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