Voyez comme ils dansent

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Le cinéma de Claude Miller creuse. Encore et toujours…

Si d’habitude Claude Miller joue la carte de l’ultra lisibilité dans ses titres (Mortelle Randonnée, L’Effrontée, Un Secret…), avec son dernier film il joue la carte de la poésie de comptoir : Voyez comme ils dansent. Qui donc ? Mais ses personnages bien sûr. Ils mènent cette grande danse qu’on appelle la vie. C’est beau comme un camion. Ou plutôt comme un train arrêté en pleine neige au milieu du Canada. C’est dans ce train que se trouve la pauvre Marina Hands – qu’on n’a jamais vu aussi mauvaise – apparemment pour réaliser un reportage sur cette illustre machine qui traverse le pays. De temps en temps donc, elle allume sa caméra. Mais surtout elle pense à son défunt d’ex-mari qui habitait à deux coups de raquettes de là. L’envie d’aller rencontrer celle qui l’a remplacée dans son cœur lui prend alors.

En adaptant La petite-fille de Menno de Roy Parvin, Claude Miller peut broder sur son thème favori : le poids (toujours très lourd) du passé sur le présent. Ici c’est le souvenir de Vic, grand artiste comique (ouais…) qui va envahir le film. Envahir, le mot est le bon puisqu’en plus d’occuper l’esprit de deux femmes, ce bon vieux fantôme s’accapare aussi une bonne partie du film. Le va-et-vient entre présent et passé est le maître mot de l’organisation du film dans un montage parallèle que Miller voudrait audacieux – il cite volontiers Godard et Resnais comme modèle – mais qui reste désespérément plat tant sa mise en scène est inepte et paresseuse. Le film confirme la dégringolade du cinéma de Miller entamée ces dernières années, là où jusqu’alors il apparaissait comme un réalisateur certes guère intéressant, mais disons correct. Eclate ici une mise en scène inconsistante surtout remarquable par son absence de cohérence interne, ses plans décoratifs stériles ou aguicheurs et ses acteurs laissés à l’abandon dans un collage de séquences narrativement opérant – l’intrigue doit être résolue, tout doit être expliqué, verbalisé avant de plier bagage – mais n’offrant qu’un film brinquebalant.
 

Ainsi Voyez comme ils dansent est largement parasité par ses imposants flashbacks sur Vic, notamment dans les souvenirs de Lise/Marina Hands le montrant sur scène. Miller se soumet ainsi à la dimension purement spectaculaire du personnage qui bouffe complètement le film qui fait alors, lui-aussi, son intéressant. Ces séquences révèlent une absence de recul dramatique et Voyez comme ils dansent  disparaît complètement derrière le show. Il ne reste alors plus que le spectacle, vu directement depuis la scène (la caméra valsant d’une élégance poussive sur scène suivant les faits et gestes du trublion), oubliant complètement le point de vue de Lise qui est pourtant bien le point focal du film, multipliant les pistes secondaires au nom de la sacro-sainte détermination psychologique chère à son auteur. Dans l’ensemble, ces séquences sont assez symboliques des choix, ou non-choix de Miller : faire joli avant toute chose. Des jolis plans, du joli spectacle, de la jolie musique (cela passe d’ambiances néo-rétro à une version ralentie de la Lettre à Elise jusqu’aux grands violons dramatiques), une jolie croupe sous la douche… Les éléments s’accumulent, les idées de joliesse s’entassent les unes derrière les autres sans que jamais on n’essaye de les relier, le tout devant bien sûr mener à une résolution tout faite, aussi thérapeutique que complaisante.

De plus en plus, le cinéma de Claude Miller apparaît telle une coquille, lisse et jolie de l’extérieur et désespérément vide à l’intérieur, une sorte de pompiérisme doucereux dénué de recul critique. Entièrement prémâché pour éviter toute digestion difficile, le film finit par ne parler qu’à lui-même, isolé sur scène à la manière de son personnage dans un égocentrisme excluant d’office le spectateur. Derrière une structure faussement complexe, il n’y a aucun wagon à raccrocher et, à la manière de Lise face à Vic, on ne fait que subir outrageusement le film en attendant que ça cesse. Sauf qu’il est assez mal vu de se rouler par terre en tapant des pieds dans une salle de cinéma.
 

Titre original : Voyez comme ils dansent

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Durée : 109 mn


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