Vicky Cristina Barcelona

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Woody Allen a l’art de savoir – bien – raconter des histoires. Son immense filmographie et des spectateurs toujours fidèles au rendez-vous le prouvent, et la comédie Vicky Cristina Barcelona (VCB) n’échappe pas à la règle. Le réalisateur nous propose cette fois ci de suivre à Barcelone deux américaines, lors d’un été où l’amour les […]

Woody Allen a l’art de savoir – bien – raconter des histoires. Son immense filmographie et des spectateurs toujours fidèles au rendez-vous le prouvent, et la comédie Vicky Cristina Barcelona (VCB) n’échappe pas à la règle. Le réalisateur nous propose cette fois ci de suivre à Barcelone deux américaines, lors d’un été où l’amour les attendra comme par hasard au coin de la rue.

Chansons entraînantes, narrateur en voix-off et dialogues aussi légers que pertinents nous plongent ainsi sans peine dans l’intrigue qui nous charme de façon instantanée. Mais qu’en est-il de l’image ? Mise à part l’exposition de la beauté des deux comédiennes (Rebecca Hall est Vicky, Scarlett Johanson est Cristina), en quoi l’image joue-t-elle un rôle dans le récit ? Qu’apporte-t-elle de plus que le traitement  très autonome de la bande son , soignée à l’extrême, dans la pure tradition des films de Allen?

Approchons donc, pour voir comment s’agence la relation entre son et image dans VCB, la séquence d’ouverture. Pour cela, divisons en trois grandes parties cette séquence de 7’08 : générique et présentation des deux jeunes femmes (du début à 2’43) ; installation dans la maison qui les accueille et visite éclair de la ville de Barcelone (2’43 à 5’46) ; première rencontre avec le peintre sulfureux Juan Antonio Gonzalo – Javier Bardem – (5’46 à 7’08).

Arrivée et présentation

Tout d’abord et dans les règles de l’art, ouverture sur le générique habituel d’Allen (police blanche sur fond noir), accompagné par le thème principal du film, « Barcelona », qui lui donne le ton humoristique et le rythme rapide à suivre. On est déjà dans le récit alors que l’image n’est pas encore arrivée.

 

 
Les filles sortent ensuite de l’aéroport par une belle journée ensoleillée, prennent un taxi et se dirigent vers le centre ville. En chemin, sur l’autoroute, on croise un panneau indiquant le nom de la ville, « Barcelona », puis le volume de la chanson diminue jusqu’à arrêt total pour laisser place  en voix-off à un narrateur très bavard, qui entame la description synthétique des caractères des deux filles et leur position vis à vis de l’amour. Si Vicky sait ce qu’elle veut (mariage et stabilité), Cristina sait surtout ce qu’elle ne veut pas (mariage et stabilité). Deux points de vue opposés sur un même sujet : un split-screen arrive (1’57), mis en valeur par le découpage sobre et fonctionnel dans lequel il est ancré, qui juxtapose  les deux gros plans des  deux femmes dans un même cadre.

Pour la première fois, l’image devance ici le son en prédisant non seulement la confrontation des deux femmes sur la question de l’amour, mais aussi, sur un seul et même homme. Le split-screen souligne les informations données par la bande son et laisse présager au spectateur un conflit à venir, qui sera traité avec légereté et humour, deux facteurs clés de cette figure de style.

Installation et clichés de la ville

Une fois Vicky et Cristina convenablement présentées, le réalisateur s’attarde à nous exposer leur arrivée à la maison dans laquelle elles vont passer l’été (2’43 à 4’28). L’accueil, de la part du couple d’âge mûr occupant cette magnifique maison, est cordial et chaleureux. À travers un jeu remarquable et des dialogues pleins de sous entendus, la femme dégage pourtant un brin de désespoir mélancolique prognostiquant une possible vie future pour Vicky, fiancée sur le point de se marier.

Arrivent ensuite une série de plans-clichés sur la ville que les deux belles femmes parcourent en touristes (4’28 à 5’47). Il est curieux que le réalisateur s’attarde si peu sur le premier aperçu de la ville de Barcelone, dont le nom fait  pourtant partie intégrante du titre du film. Les beaux clichés, d’une grande banalité, propres à n’importe quel guide touristique, se succèdent : la Sagrada Familia, le parc Gaudí, le voilier sur la mer Méditerrannée, la petite terrasse le soir où l’on joue de la guitare. À travers des plans très courts sur ces quatre décors s’enchainant par fondus, Allen impose la dérision (spécialement dans la séquence du voilier, où le couple présente un jeune homme bien comme il faut à Cristina, qui ne semble pas très attirée par le personnage…) et donc une certaine distance entre la ville et le spectateur, qui n’est malhereusement pas invité à y accéder.

 

 
Ces deux moments, dans la maison et dans la ville, sont ici traités sur le même ton, jusqu’à créer un ensemble flou ,sans réelle importance. Les deux décors sont placés au même niveau dans l’intrigue, sans donner plus de couleur à l’un qu’à l’autre, et ce grâce à l’utilisation systématique des panoramiques et des fondus enchaînés entre deux plans. Ces procédés visuels lient ces deux espaces, aussi ouvertement que la musique en fond sonore, presque omniprésente.

Barcelone est donc clairement présentée comme un simple décor, au même titre que la maison. Si nous croyions dans un premier temps que Vicky et Cristina allaient à la rencontre de la ville de Barcelone, force est de constater que cette rencontre n’occupe pas une place centrale dans l’intrigue. La ville plante un décor, et la saison d’été un état d’esprit  face à une autre rencontre à venir.

La rencontre

Et celle-ci aura lieu dans une dernière « séquence cliché » du voyage touristique : le vernissage dans la galerie d’art (5’42). Les panoramiques sont toujours aussi nombreux, mais se concentrent à présent sur un seul plan à la fois, se resserrant exclusivement sur Vicky et Cristina en premier plan. Ce va-et-vient entre les deux femmes s’effectue à partir du moment où Cristina remarque un homme hors champ, qu’elle identifie immédiatement  comme peintre (6’05). Ainsi le personnage de Juan Antonio Gonzalo (Javier Bardem) est introduit dans un premier temps par la voix.

Deux plans de longue durée se succèdent ensuite, pendant que l’on entend la description de ce nouveau personnage à travers les dialogues du couple qui accompagne les filles. Si Cristina semble intriguée par lui, Vicky ne donne aucun signe d’intérêt sur le sujet. Pourtant, le fait que la caméra vogue entre les deux jeunes femmes donne déjà une information sur la suite : ce personnage, encore invisible, est déjà situé entre les deux filles, signe d’une future relation à trois. On ne voit toujours pas à l’image Juan Antonio, ce qui aiguise la curiosité du spectateur impatient.

Le plan sur lui arrive enfin et de façon brusque : après tant de fondus et panoramiques-préambule, voici un plan fixe centré sur Juan Antonio, ennuyé et verre à la main, au milieu de la petite foule de la galerie (7’03). Avec lui, la musique revient. Le contraste du traitement de l’image entre ce plan fixe et les plans languissants qui lui précèdent, marque l’importance de ce nouveau personnage qui se place en première ligne du côté de Vicky et Cristina, laissant loin derrière eux la ville de Barcelone. Juan Antonio est donc la justification du voyage des deux filles à Barcelone : il est  temps de passer à l’action.

Dans cette séquence d’ouverture de VCB, la bande son est riche en descriptions que l’image semble suivre de près en les affirmant. Pourtant ,trois figures de style visuelles se démarquent : au split-screen opposant Vicky et Cristina succèdent  des panoramiques complaisants, pour introduire enfin le plan fixe sur Juan Antonio. Plus que de simples descriptions, ces trois éléments incitent le spectateur à deviner la suite du récit, devançant ainsi les informations données par le son.

C’est donc grâce au caractère informatif de la bande son à travers musique, voix-off et dialogues que l’image, à travers le montage principalement, peut se permettre de rajouter ses propres éléments pour mettre en place avec précision le support de l’action dans le récit, parfaitement sructuré par un scénario fort.

A relire :  la critique du film par Clémence Imbert, ainsi que la « contre-critique » d’Aurélien Legenissel


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