Vandal

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En se servant de la métaphore du « street art », Hélier Cisterne offre un film d’une rare beauté sur la jeunesse, l’art et l’absolu.

Ne pas se fier au graphisme du titre, ni à ce qu’il évoque : Vandal n’est pas un énième film sur les cailleras de banlieue. Vandal est un film énigmatique, profond et puissant qui plonge très loin sa réflexion sur la création artistique. Mettant en scène un adolescent ténébreux, renfermé et fébrile, hanté par le désir tenace mais vague de donner un sens à sa vie, Hélier Cisterne, après des études de philosophie et quelques courts et moyens métrages, nous offre ici son premier long, hommage aux 400 coups (François Truffaut, 1959) et à Musidora. Car Vandal ressemble un peu à cette ombre des films de Feuillade qui taguerait dans la nuit, se ferait électrocuter et donnerait des ailes à Chérif, 15 ans, magnifiquement interprété par Zinedine Benchenine qui a des airs de Jean-Pierre Léaud à ses débuts, entre entêtement et tendresse. Film nocturne, Vandal est superbement éclairé par le chef opérateur Hicham Alaouié, qui est parvenu à créer une véritable atmosphère entre chien et loup, l’heure dangereuse préférée de Jean Cocteau. C’est cette nuit qui inspire grapheurs et tagueurs de tout poils qui, au péril de leur vie, vont jusqu’au bout d’une passion qui est celle de créer un œuvre même éphémère sur les murs de la ville, aux yeux de tous, comme des Michel-Ange aux ailes rognées parce qu’on ne leur offre pas la chapelle Sixtine, mais au désir artistique tout aussi vibrant.

En faisant de Vandal le modèle grapheur invisible, mais toujours à imiter, servis à l’écran par les graff de Lokiss, Pisko Logic, Orka et du collectif El Cartel, le réalisateur parvient à donner une forme presque artistique à son film. Par le biais du street art, qu’il découvre grâce à son cousin, Thomas, sorte de Janus, ce dieu à deux têtes – bon élève le jour avec ses lunettes sérieuses, grapheur fou la nuit avec sa bande, joliment interprété par Émile Berling que l’on avait découvert dans Comme un homme (Safy Nebbou, 2012) -, Chérif voit le monde de l’art s’ouvrir à lui, ce qui lui permettra de se faire reconnaître, d’aimer la fille réservée qu’il a rencontrée dans sa classe de lycée professionnel, et finalement de devenir un homme, plus que ça : un artiste, dans la scène finale où, après tué le « père », il créera son œuvre qu’il signera Vandal comme pour s’approprier le nom du père qu’il a du mal à accepter dans le réel.

 

 

Même si le scénario ne nous dévoile pas pourquoi Chérif est si révolté par rapport à sa mère, et s’il a du mal à accepter l’amour maladroit que tente de lui apporter son père – impeccables Marina Foïs et Ramzy -, cela n’a pas d’importance. Le film est centré sur Chérif qui rêve comme tous les adolescents d’une autre vie, à la manière de l’image tutélaire de Rimbaud, l’homme aux semelles de vent. Mais « la vraie vie est ailleurs », on le sait bien, sauf qu’ici Chérif va se révéler en sortant de l’ombre de Vandal et, en brandissant son nom comme un trophée – transgressant cependant une des règles fondamentales du street art -, endossera le costume de super-héros. Au départ, c’est à ce scénario que pensait Hélier Cisterne : dépeindre un ado qui dérobe un costume qui le protège, mais qui lui colle de plus en plus la peau, le dévore… Ici, ce n’est plus tout à fait l’habit de Superman que Chérif endosse, mais celui d’un graffeur qui va lui permettre, au-delà de sa mort, de devenir enfin à la fois lui-même et l’Autre, transgression et mutation qui vont faire de lui un autre lui-même. Et si Hélier Cisterne a choisi le milieu du street art, toujours en équilibre instable entre art, utopie et clandestinité comme le cinéma lui-même, c’est parce que, selon lui, il est « l’une des seules formes de culture qui ait été inventée et développée par des adolescents. Le graffiti témoigne de manière absolument sincère et brute de la jeunesse d’une époque ».

Si ce film magnifique ne donne pas à tous les ados l’envie de grimper sur les façades afin d’y laisser une trace éphémère, il peut leur donner par-dessus tout l’envie de faire du cinéma de contrebande. 

Titre original : Vandal

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Durée : 84 mn


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