À bout de souffle est une oeuvre magique (et majeure), qui révèlent aux yeux du monde deux talents immortels: Jean-Luc Godard et Jean-Paul Belmondo. Bebel est en train de naître…
« Michel Poiccard, 1m79, cheveux châtains, ancien steward d’Air France, se fait expédier son courrier à l’agence Interamericana ». C’est en ces termes que l’inspecteur Vital décrit le personnage à Tolmatchoff. Héros d’À bout de souffle, il est à l’origine le double cinématographique de Michel Portail, qui a marqué la chronique judiciaire en 1952. L’aspect voleur de voiture, conservé dans le film, se pare d’autres caractéristiques sous les doigts de Jean-Luc Godard. Jean-Paul Belmondo incarne un Poiccard élégant et désinvolte, dans un savant mélange qui fait tantôt penser à Humphrey Bogart, à Michel Simon, ou encore à James Dean et Jean Gabin. Ancien boxeur, Belmondo offre à Poiccard une allure athlétique, des gestes sportifs qui dénotent avec sa boulimie presque maladive de cigarettes. Fan de voitures, incollable et bavard sur le sujet, il est aussi misogyne (« Femme au volant c’est la lâcheté personnifiée »), et provocateur (« Vous êtes cons les américains »). D’après un scénario de François Truffaut, nul doute que le talent de Belmondo a su exploser dans ce film grâce à la « touche Godard ».
Jean-Luc Godard n’élabore pas de plan de travail lors du tournage, car il souhaite permettre à ses comédiens de jouer la spontanéité (n’oublions pas que Belmondo vient du théâtre) : il donne à son œuvre un aspect film-reportage sur les acteurs, en bannissant les travellings et les raccords lumière. Une spontanéité verbale qui n’avait auparavant été exploitée qu’en littérature (on pense bien-sûr à Céline). Ainsi, le réalisateur réussit à capter une sorte d’instant présent, reflet des années soixante, comme si n’importe quelle personne avait pu dire ces mots. Le magnifique monologue intérieur de Belmondo-Poiccard dans sa voiture sur la N7 (certainement une des plus belles séquences du cinéma français), est caractéristique d’un nouveau style cinématographique : l’acteur s’adresse à la caméra (au spectateur donc), prend un revolver et tire sur le soleil (référence explicite à L’étranger de Camus et au Tigre du Bengale de Fritz Lang), fait des commentaires sur des auto-stoppeuses… Des phrases inoubliables prononcées avec brio par Belmondo, ("Si vous n’aimez pas la mer… si vous n’aimez pas la montagne… si vous n’aimez pas la ville… allez vous faire foutre ! "), des sautes qui accentuent le rythme comme au temps du cinéma russe des années vingt font de ce début d’ À bout de souffle un instant magique, captant avec perfection l’attention du spectateur.
C’est avant tout l’aisance verbale de Belmondo qui est mise en avant tout au long du film, en opposition avec la maladresse de Jean Seberg. Un nouveau territoire cinématographique emprunté aux romanciers des années trente (Malraux, Aragon, etc.) est en train de naître, agrémenté par un grand nombre de références culturelles (des maximes, des anecdotes et de l’argot). Le personnage de Poiccard véhicule par ailleurs le langage des années soixante : il utilise des mots étrangers (anglais, espagnol ou italien), s’amuse avec les sonorités (Patricia, Roma, Geneva,…), fait des jeux de mots (« Je fonce Alphonse »). Un style verbal qui à l’époque avait fait interdire le film aux moins de 16 ans (« ça m’fait chier » ou « je peux pisser danslelavabo » avaient choqué l’opinion publique).
Né en 1933, Belmondo devient une star en 1960 grâce à son rôle dans À bout de souffle. Il est alors un des « acteurs-mascottes » de la Nouvelle Vague. Désinvolte et cynique, il peut aborder une étendue de registres qui va de la tragédie à la comédie : il semble pouvoir tout jouer (il nous le prouvera par la suite !). Acteur charismatique, il n’est pas encore Bebel, mais déjà une vedette populaire.
Pietro Germi figure un peu comme l’outsider ou, à tout le moins, le mal-aimé du cinéma italien de l’âge d’or. Et les opportunités de (re)découvrir sa filmographie -telle la rétrospective que lui a consacré la cinémathèque française en octobre dernier- ne sont pas légion. L’occasion de revenir aux fondamentaux de son cinéma enclin à la dénonciation sociale. Rembobinons…