Un film et son époque, Volume 1

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« Les films, a fortiori les plus grands, sont des documents remarquables pour témoigner d´une époque ». Ainsi, le volume 1 de « Un film et son époque » nous propose une immersion dans les années 60 et 70, et cela à travers quatre films dits « mythiques » : « La Dolce Vita » (1960), « Le Mépris » (1963), « Le Dernier Tango à Paris » (1972) et « Tess » (1979).

Chaque film documentaire propose, en un peu plus de cinquante minutes, de mettre en lumière les liens qui unissent un film à la réalité dans laquelle il s’inscrit, ainsi que d’éclairer les conditions de tournage d’alors. C’est peut-être de leur bonne volonté que provient – paradoxalement – la faiblesse de ces films : à trop vouloir "tout" traiter, montrer, ils ne font qu’effleurer cette relation film / époque qui apparaît pourtant comme particulièrement intéressante.

Bien sûr, il est toujours agréable d’entendre – à propos d’un film – les réalisateurs, comédiens, assistants… mais ce sont bien les passages où sont mis en valeur les images d’archives et le travail d’analyse sur le rapport à l’actualité qui suscitent le plus d’intérêt. Finalement, on reste un peu sur sa faim. La faute en partie au format, la duré de ces documentaires ne permettant pas d’explorer en profondeur à la fois l’univers d’un film et son inscription dans l’Histoire.

Somme toute, ces DVD ont cet avantage de s’adresser à tous, cinéphiles convaincus – qui n’apprendront peut-être pas beaucoup, mais prendront tout de même du plaisir au visionnage – et "simples" amateurs de cinéma ; ils savent susciter la curiosité, offrant à voir d’intéressantes images d’archives, des entretiens, etc. Ils donnent ainsi envie de partir à la découverte d’autres films, de se plonger dans le cinéma, tout simplement. Pour cela, "Un film et son époque" est une bien jolie entreprise.

Petit retour, par ordre chronologique, sur les quatre films qui composent donc le Volume 1 de la série "Un film et son époque".

Il était une fois… 1960 et La Dolce Vita de Federico Fellini

C’est dans une Italie qui connaît un vrai miracle économique (après le fascisme et la guerre, l’Italie pénètre de plain-pied dans la modernité) que La Dolce Vita est réalisé. Le pays devient, grâce à ses coûts très compétitifs et les installations de Cinecittà, terre de cinéma, à la défaveur – entre autres – de la France et des Etats-Unis.

Ce que nous dit le documentaire du rapport de Fellini à son époque est particulièrement intéressant, bien que ce ne soit pas là des "révélations". Le réalisateur, en effet, pour bon nombre de scènes s’est inspiré de l’actualité telle que traitée par la télévision ou les journaux. Il en va ainsi de la fameuse scène d’une statue géante d’un Christ aux bras écartés transportée par un hélicoptère au-dessus des terrasses romaines, tout droit inspirée d’un reportage télévisé. La présence de nombreux "paparazzi" – mot courant aujourd’hui qui trouverait ici son origine – dans le film est elle aussi un symbole de l’inscription du film dans son époque. Le rapport se trouve cependant inversé : c’est le film qui marque son époque, annonçant presque de façon prémonitoire l’avènement de la société médiatique. Ce rapport aux photographes – que Fellini met en scène -, aux médias, est également à observer dans le tournage même de La Dolce Vita. Le réalisateur a su faire de celui-ci un événement. Ainsi, la scène de la fontaine – qui se tournera sur une dizaine de jours – réunira une foule impressionnante de spectateurs chaque soir.

Beaucoup plus "classique", et de fait semblant moins correspondre à l’ambition affichée par cette série, on retrouve l’analyse faite du rapport du cinéaste à ses comédiens. Celui qui était "un sorcier (…), un magicien" – selon Anouk Aimé – apparaît comme un réalisateur sachant toujours exactement ce qu’il voulait, dirigeant ainsi ses comédiens avec une précision extrême. Le film revient également sur la rencontre Fellini / Mastroianni – et cette découverte par le cinéaste de son "double" -, sur le rôle des femmes dans sa vie – et sa fascination pour celles-ci ; fascination que l’on retrouve bien – notamment – dans la galerie de portraits de femmes proposée dans La Dolce Vita

Enfin, et l’on retourne ici à l’actualité, le film n’oublie pas d’évoquer la campagne incendiaire – lancée par le Vatican – ayant accompagné la sortie de La Dolce Vita le 3 février 1960 à Rome, ainsi que les réactions violentes du public. A ceux jugeant le film "moralement inacceptable", Fellini a répondu, à travers une interview accordée à un journaliste de L’Express : "C’est le film d’un désespéré amer et désorienté (…) il faut être sourd et aveugle pour ne pas sentir l’immense désir de salut qui le sous-tend (…) Tout mon film appelle au secours". Appel entendu. Le film recevra la Palme d’Or à Cannes quelques mois plus tard.

Il était une fois… 1963 et Le Mépris de Jean-Luc Godard

Le documentaire consacré au Mépris de Jean-Luc Godard est peut-être celui qui témoigne le moins de l’époque dans laquelle il s’inscrit, en ce sens qu’il ne fait que très peu le lien avec l’actualité d’alors. Riche en témoignages du réalisateur, il n’éclaire malheureusement que peu sur le cinéma du début des années 60 et son ancrage dans la société. Le cinéma est alors en crise, la télévision s’impose, le nombre de films produits par Hollywood chute de moitié entre 1958 et 1963, l’Italie devient la terre d’exil du cinéma (comme vu ci-dessus pour La Dolce Vita). C’est alors que, la Nouvelle Vague en reflux,  Jean-Luc Godard, érigé en chef de fil du mouvement cinématographique, réalise à 33 ans – sur proposition – Le Mépris, l’adaptation d’un roman italien d’Alberto Moravia qui ne participera pas au film, donnant l’entière liberté au réalisateur.

Jean-Luc Godard le dit dans le documentaire : il ne savait alors pas ce qu’était le mépris… et il ne le sait toujours pas. Si le film proposé ne se rapporte visiblement que peu à l’époque, à l’actualité, c’est peut-être finalement parce qu’il "est" l’époque. Jean Cocteau ne disait-il pas de Brigitte Bardot : "Elle est l’âme de notre époque" ? Michel Piccoli – qui l’affirme : dans ce film, il jouait Jean-Luc – décrit une femme très attentive sur le tournage. Jean-Luc Godard revoyant les images de son film, à l’occasion de l’entretien, perçoit de l’ennui chez la comédienne qu’il analyse comme étant certainement dû au fait que personne sur le tournage ne lui faisait la cour.

Du film lui-même, le documentaire présente notamment certaines scènes dont la naissance n’est pas à mettre au compte de la "pure volonté" du réalisateur. Ainsi, si la scène de ménage centrale dure près de trente minutes, c’est qu’il s’agissait en réalité de rattraper le retard pris pendant le tournage, d’éviter "ce gouffre" arrivé à cinquante minutes, quand il manque alors vingt, vingt-cinq minutes pour que le film soit un long métrage.  De même, la scène où Brigitte Bardot se retrouve nue (ah ce fameux : "Et mes fesses ? Tu les aimes mes fesses ?") était une commande de la co-production américaine (avoir la belle comédienne, cher payée, sans la voir déshabillée ? Quelle idée !).

De nombreuses anecdotes – pas indispensables mais toujours agréables à entendre – ponctuent ce documentaire. Ainsi apprend-on que pour que Brigitte Bardot accepte de retirer "la choucroute" qu’elle avait sur la tête, le réalisateur lui a proposé un pari : s’il marchait sur les mains, elle acceptait de se débarrasser de sa coiffure. Pari gagné par Jean-Luc Godard.

Le documentaire devient particulièrement intéressant lorsqu’il montre le face-à-face entre Fritz Lang (qui joue par ailleurs son propre rôle de réalisateur dans Le Mépris) et Jean-Luc Godard. Ce dernier interrogeant son aîné sur ce qu’est un metteur en scène, ou bien Fritz Lang affirmant qu’il aurait – lui – montré l’accident du film et non pas fait une ellipse comme l’a fait Godard, mais ce dernier l’affirme : "Moi ça je ne sais pas faire".

Le documentaire consacré au Mépris suscite l’intérêt par la présence même de Jean-Luc Godard. S’il y a bien évidemment d’autres intervenants, ce sont sa personnalité, son image et ses paroles qui restent en mémoire une fois le documentaire fini, un documentaire qui ne colle pas totalement à l’ambition que semble s’être donnée la série "Un film et son époque", parlant beaucoup plus du film, que de l’époque.

Il était une fois… 1972 et Le Dernier Tango à Paris de Bernardo Bertolucci

Le Dernier Tango à Paris, qui met en scène des rapports sexuels d’une violence croissante, voit le jour alors que "la grande épopée de la révolution sexuelle bat son plein". Bernardo Bertolucci en raconte la face noire. Pour l’anecdote, si Marlon Brandon incarne le personnage masculin du film, il ne s’agissait pas du premier choix du réalisateur. Trintignant avait refusé, car il lui était impossible de se "mettre à poil", Belmondo avait tout bonnement refusé de rencontrer Bertolucci et Delon avait accepté… à condition de pouvoir produire le film. Quand l’acteur américain accepte, il n’est plus le comédien désiré qu’il a pu être, sa carrière marque le pas. Le Dernier Tango à Paris et Le Parrain le remettront sur le devant de la scène. Le documentaire est notamment l’occasion, puisqu’il est question du célèbre comédien, de revenir sur la "réputation d’emmerdeur" de Marlon Brando ; une réputation que Bernardo Bertolucci n’affirme pas ici, directement, être justifiée.

Cependant, on apprend qu’à 18h pile le soir, l’acteur s’arrêtait de tourner, ou encore qu’il était hors de question pour lui de travailler un samedi. Il est ainsi amusant d’apprendre que jamais Marlon Brando et Jean-Pierre Léaud, sur ce tournage, ne se sont pas croisés, celui qui était "la figure de la Nouvelle Vague" et apportait une petite touche de légèreté au film ne tournant lui que le samedi. Mais par la présence même de ces deux comédiens, représentants de deux cinémas bien différents, Le Dernier Tango à Paris est aussi un film sur le cinéma.

Le témoignage de Maria Schneider, présente dans le documentaire, est particulièrement douloureux, non pas réellement dans ce que la comédienne dit, mais dans la lassitude triste qu’il est possible de ressentir. Et quand il est décrit comment la scène de sodomie avec le beurre a été tournée, sans en avertir la comédienne au préalable, cette lassitude prend bien des tonalités graves. "Une humiliation de plus" selon l’actrice. Elle explique ainsi que les pleurs de la jeune fille qu’elle interprétait, à ce moment-là, devant la caméra, n’étaient pas feints.

Le sexe étant au cœur du film, le documentaire fait le lien avec un procès s’étant tenu à Bobigny au moment du tournage. Le procès d’une jeune femme violée, sur le banc des accusés pour avoir avorté. Deux ans plus tard, l’avortement sera dépénalisé par la loi Veil. Le documentaire est aussi ponctué d’interventions d’une écrivaine féministe (Germaine Greer) qui analyse le rapport homme / femme du film, et fait justement remarquer qu’alors que Maria Schneider est nue, Marlon Brando reste lui habillé. Pour l’anecdote, le comédien a fait reculé de trois semaines les scènes de sexe, car il ne se sentait pas prêt.

Sur une note plus légère, il est aussi question de couleurs, car oui, les tonalités orange du film sont bien à relier à l’époque. Le directeur de la photographie explique à quel point cette couleur a envahi la société pour être "la" couleur des années 70. Au moment du tournage se tenait par ailleurs une exposition de Bacon au Grand Palais où cette couleur avait une grande importance. Le travail du peintre a ainsi beaucoup influencé réalisateur et directeur de la photographie…

Le documentaire évoque enfin, et forcément, la polémique créée par la sortie du film. Bernardo Bertolucci doit à celle-ci d’avoir été privé de ses droits civiques en Italie pendant cinq ans. Maria Schneider se souvient de la première parisienne et de Jean-Luc Godard sortant de la salle au bout de dix minutes en disant que le film était une horreur. Agée d’à peine vingt ans au moment du tournage, elle n’a jamais revu Bernardo Bertolucci. Le Denier Tango à Paris est ainsi un souvenir douloureux. Plus de vingt ans se sont écoulés avant que Marlon Brando et Bernardo Bertolucci ne se revoient. Même si c’est grâce au succès du film aux Etats-Unis (et à celui du Parrain) que le comédien est redevenu "un monstre sacré", il a, à plusieurs reprises, parlé de viol à propos de ce tournage, furieux de ne pas s’être rendu compte que le réalisateur entrait dans ses secrets.

Il était une fois… 1979 et Tess de Roman Polanski

Dernier des films présentés, Tess de Roman Polanski, adapté d’un roman de l’époque victorienne de Thomas Hardy. Les intervenants sont nombreux dans ce quatrième et dernier DVD. On aurait aimé – comme pour les autres documentaires finalement – un peu plus de parallèles avec l’époque, car ces intermèdes où fiction et réalité se mêlent sont vraiment intéressants. La fin des années 70, c’est un nouveau monde, la révolution industrielle, Internet qui s’invente, Margareth Thatcher qui instaure la dérégularisation libérale… C’est ainsi bien pour le lien fait entre Tess et son époque que ce film documentaire est intéressant. Dans son film, Roman Polanski fait le constat d’un monde qui n’existe plus, la civilisation paysanne étant alors en train de mourir. Mais cette mort planifiée a pour effet de provoquer un attrait nouveau pour la campagne, le documentaire présente ainsi des photos du Larzac en 1979, loin d’être déserté.

Dans Tess, la jeune héroïne est abusée par un homme, qu’elle finira par tuer. Le parallèle est fait à la fois avec le propre vécu du réalisateur (ayant fui les Etats-Unis, alors poursuivi pour viol sur mineure, accusation retirée par la plaignante) et le fait qu’en 1978, à Aix-en-Provence, se tient un procès faisant grand bruit, celui de deux femmes portant plainte pour viol. Le viol – de manière générale – devant attendre 1980 avant que l’Assemblée Nationale ne qualifie cet acte de crime. Intéressante mise en parallèle faite grâce à des images d’archives.

Le parallèle avec l’époque est également fait sur le plan de la mode, avec, notamment, un entretien avec le costumier de Tess. La fin des années 70 montre en effet le retour de la féminité dans la mode, et les robes de Tess ont influencé les collections de prêt-à-porter ayant suivi la sortie du film. On aurait aimé voir bien plus d’images, afin de réellement se faire une idée, de constater cette influence de visu.

Bien sûr, avoir le ressenti du réalisateur, des comédiens, des producteurs, c’est intéressant, mais c’est aussi assez convenu. Ainsi, les "coulisses" du tournage sont distrayantes, mais finalement pas réellement indispensables, surtout quand le format (cinquante-deux minutes) ne permet pas de s’étendre. On en apprend aussi davantage sur les choix de cadrage du réalisateur et sa relation aux comédiens, sur les disputes à propos du montage… Il nous apprend aussi que Claude Berri aurait produit n’importe quoi pourvu que Roman Polanski en soit le réalisateur, qu’il a dû hypothéquer ses biens pour ce film qui aura alors été le plus cher du cinéma français. Mais le résultat est là : trois Césars en 1980, trois Oscars l’année suivante.

Finalement, ce que l’on regrette le plus avec ces documentaires… c’est qu’ils ne soient pas plus longs, ce qui est finalement bon signe.


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