Tournée

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Foutraque, cette « Tournée » ? Plutôt nerveuse, lacunaire et terriblement attachante ! Oscillant entre résistance et abandon, elle offre à voir une beauté hors codes. Et revendiquée comme telle. Salutaire, en tout cas.

Mathieu Amalric fait des films à son image. Et il a bien raison. A tous ceux qui considèrent Tournée, son 4e opus, comme "foutraque", cet inquiet notoire peut, bien sûr, leur opposer son jubilatoire "Prix de la mise en scène", reçu à Cannes en mai dernier. Et toc ! Mais surtout, par la grâce unique de ce long métrage déambulatoire, il persiste et signe de la meilleure façon qui soit : si "le cinéma c’est la vie" – et même davantage – alors il se doit, comme ici, d’être bousculé, débordé, résistant. Nerveux et lacunaire, de toute façon.

De fait, sa très attachante Tournée donne à voir une non-maîtrise d’autant plus juste qu’elle épouse idéalement son sujet. A savoir les chemins de traverse d’une troupe de strip-teaseuses américaines de "New Burlesque", ceci dans la France la plus provinciale – entendez "neutre" – qui soit. Cocasses, vibrants, chaleureux : ces chemins hasardeux, propices à moult percussions, sont initiés par un ancien producteur de télé, lui-même totalement largué, quoique bientôt rattrapé par son passé (Mathieu en personne, une petite moustache à la Paulo Branco en sus)… C’est dire si tout cela est réjouissant. Mais pas seulement.

Multi-directions

Car l’on peut aussi entendre, au travers de cette ode à une féminité hors codes – elles sont sacrément belles et généreuses, les filles de la troupe ! – l’expression personnelle d’un rapport au corps un tantinet plus complexe, sinon complexé. C’est l’un des élans assez vertigineux de ce film. De fait, comme par hasard, c’est la première fois qu’Amalric se distribue "chez lui" : l’hypothèse d’un autoportrait en forme de cassage de gueule n’est donc pas à exclure (et… en effet !). D’autant qu’il ne s’accorde guère de bienveillance, l’acteur célébré quoique kamikaze : son personnage est à la fois tendu, râleur et charmeur, jamais en paix… Miroirs inversés de ses errances et de ses regrets, les femmes du New Burlesque, dont les visages et les corps suffisent pourtant à raconter leur passé, font preuve, elles, d’une liberté si provocante et assumée, qu’elles vont finir par le contaminer. Enfin, en tout cas, par "l’adopter". Et le rasséréner.

La mise en place de cette famille alternative, c’est l’autre élan captivant d’une œuvre décidément multidirectionnelle. Entre deux bouffées de chaleur, d’humour et de rondeur (il multiplie les plans où on le voit, fasciné et de biais, observer le show des girls), Amalric nous trimballe ainsi d’hôtels impersonnels en péages d’autoroutes, butant cette fois sur des flottements, des vides, des sentiments inexprimés. Comme pour mieux interroger, au fond et en contrepoint, à travers des regards et quelques brèves rencontres, la tristesse et la violence d’une société uniformisée. Du coup, son "adoption" salvatrice dans cette "famille" de saltimbanques sonne davantage comme un acte de résistance, même brouillon, que comme un refuge, voire un repli. Oui, Tournée est un film ouvert, dans tous le sens du terme ! Non pas "foutraque", mais désobéissant. En cela, il est non seulement estimable mais important.

Titre original : Tournée

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Durée : 111 mn


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