The World (Shijie)

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Bienvenue dans le Monde selon Jia Zhang Ke. Le lieu, la ville de Pékin ; le décor, un formidable parc d’attraction où il est possible de faire le tour, en une journée et sans passeport, des plus beaux monuments du monde à échelle réduite ; son envers, une petite communauté d’intermittents composée à majorité de […]

Bienvenue dans le Monde selon Jia Zhang Ke.

Le lieu, la ville de Pékin ; le décor, un formidable parc d’attraction où il est possible de faire le tour, en une journée et sans passeport, des plus beaux monuments du monde à échelle réduite ; son envers, une petite communauté d’intermittents composée à majorité de Chinois mais aussi de Russes déracinés de leur terre natale, et qui essayent tant bien que mal de joindre les deux bouts dans une Chine urbaine aux frontières poreuses, où l’infiniment globalisé côtoie le local, et où la réussite pour peu engendre la perte du lien et la misère sociale pour beaucoup.

Le rêve d’un avenir meilleur, partagé autrefois entre tradition (Chine rurale) et modernisme (économie de marché et capitalisme), n’a plus lieu d’exister à part dans le refuge d’un ailleurs fantasmé par le relais de la technologie. Ainsi, ce désir inassouvi caractérisé par le flot des avions qui survolent sans cesse la ville et le parc, se suspend dans un monde virtuel. Les SMS, transitions animées en flash, reflets intérieurs du sentiment amoureux, où Tao et Taisheng s’incarnent porteurs de messages au sein même des réseaux de communication et se voient tantôt voler au dessus de la ville, ou chevaucher au galop l’un vers l’autre dans l’espoir du moment tant attendu où ils pourront se rejoindre, marquent le pas vers un ailleurs possible qui se veut meilleur à deux que seul.

Au détour de la trame principale, Jia Zhang Ke, par son approche quasi documentaire, nous dépeint à travers les relations qui se tissent au sein de la petite communauté, les interférences entre sphères intimes et sociétales. Chaque plan séquence est alors un carrefour, simulacre d’une scène en constante évolution, des dédales de couloirs aux canaux de circulation de la ville, où se succèdent et se nouent les multiples intrigues. A l’image du parc, lieu syncrétique dans son fonctionnement des enjeux internes et externes qui secouent la Chine actuelle, à la fois mirage surréaliste de la libre circulation et lieu clos fermé sur lui même, il nous dresse le portrait d’une génération chinoise déracinée qui tentent de s’ancrer à une réalité sordide où la dignité humaine n’a pas plus de valeur qu’un billet de banque, à l’image du dernier souhait laissé par la petite avant sa mort, se résumant à une liste de dettes.

L’argent prend le pas sur la mort, la perte d’un fils se dédommageant en liasse de billets sous le regard de parents éteints, mais aussi sur les corps, tel ce plan terrible où dans les toilettes d’un bar à karaoké de luxe, Tao comprend qu’Anna, femme russe de deux enfants et amenée en Chine pour travailler au sein du parc, se prostitue auprès de riches hommes d’affaires pour obtenir sa liberté. Pourtant, le film de Jia Zhang Ke n’est pas un énième drame social sur fond de misère humaine. Il propose une réflexion sur une certaine forme de modernité qui tente de cerner la figure humaine au centre d’un monde d’images. Constamment à la recherche du lien perdu derrière le masque de cette Chine en mutation, il explore la souffrance de ses êtres dans l’imagerie créée. Ici encore mais d’une autre manière que dans Be with me, la virtualité ne peut s’affranchir des sentiments humains et d’une certaine façon s’en fait le vecteur.

Film de l’ère digitale à l’unisson de ceux qu’on appelle la « génération des flottants », la photographie de Yu Lik Wai et la musique de Lim Giong (voir Millenium Mambo en 2001 et Goodbye South Goodbye en 1996 de Hou Hsiao Hsien) instaurent un espace intermédiaire sans contrainte mais aussi sans emprise. La puissance de la HD révèle son artifice dans la grandeur du Scope, une esthétique du vide aux couleurs saturées qui tranche avec l’univers « flashy » des escapades virtuelles. Cette Chine oscille dans des régimes d’images tout en essayant de retrouver une certaine forme de stabilité, comme en témoigne l’utilisation des décors ou des écrans de portable comme support d’intertitres à des fins purement transitoires, forme d’expression primitive à l’ère du tout venant numérique et de sa frénésie libératrice. Ainsi, The World arrive à imprimer une sorte de non-rythme entre flottements et tentatives d’emprise sur le réel.

Au croisement de la scène documentaire chinoise actuelle et du monde contemporain, un regard acerbe sur cette société qui nous échappe dans une inexorable fuite vers l’avant, et auquel appartient à chacun de retrouver sa part d’illusion pour ne pas disparaître, quitte à se brûler les ailes.

Titre original : Shijie

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Durée : 133 mn


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