Très vite, cest un maléfice moins extérieur et étranger qui semble accabler les personnages mais bien plutôt un mauvais il qui vient et observe de lintérieur. Les membres de cette famille, les parents, William et Kate, et leurs enfants, deviennent les possédés dune magie noire dont ils pourraient bien être aussi la source. A ce titre, Thomasin, la fille aînée, est celle qui incarne le mieux cette ambiguïté : lintriguant visage dAnya Taylor Joy, pâle avec ces grands yeux bruns, traduit ce mélange de candeur et de menace. La scène de disparition de son petit frère, dans une contre-plongée sur le visage de la jeune fille jouant à se cacher les yeux pour faire rire celui-ci illustre cette sensation de trouble, de rire nerveux, provoquant des effets bien plus malaisants que la sorcière risible aperçue dans la forêt. Robert Eggers a choisi des acteurs qui jouent avec talent cette opacité, des visages qui s’animent afin d’illustrer ce dérangement : le visage christique du père, William, létrangeté des deux petits jumeaux Mercy et Jonas. Cette famille forme un cercle irrespirable et contagieux, qui se nourrit dun délire lancinant construit à partir de leur ferveur religieuse.
Le cinéaste transforme la rhétorique des croyants en la poussant à un extrême qui sert le dérèglement à luvre. Quelques détails de mise en scène apportent au film son voile pernicieux et morbide : un piège laissé dans la forêt, un poussin mort dans un uf, un bouc noir et menaçant, une chèvre qui fait couler du sang à la place de donner du lait. La malédiction gangrène cette famille que l’on voit bannie de sa communauté au début du film. Au fur et à mesure, chaque membre devient la possible incarnation du Diable aux yeux des autres, révélant lirrationnel qui les dévore, prisonniers de croyances obscures et maladives, et ce jusquà la destruction des uns par les autres. Mais ce bousculement cinglé sarrête là, demeure une posture, le cinéaste ne fait rien du monstre et précipite son film dans un final ridicule et bâclé au lieu de se saisir de toute la matière à penser qui réside derrière cette chasse à l’Autre.