The Land of Hope

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L´après-Fukushima par Sono Sion. Salutaire.

La ville de Nagashima n’existe pas, mais elle ressemble à s’y méprendre à l’une des communes touchées le 11 mars 2011 dans la préfecture de Fukushima. Le nouveau film de Sono Sion, après Guilty of Romance (2012), est la toute première fiction sur le thème des ravages qui ont suivi le tsunami au large de la côte Est du Japon il y a deux ans. Quelques années après la catastrophe, The Land of Hope imagine un lieu décimé par le séisme qui souffre une nouvelle fois de l’accident d’une centrale. L’enjeu est limpide : il s’agit pour le cinéaste japonais de faire le procès en règle de la politique nippone en matière de nucléaire. On sait le réalisateur de Suicide Club (2003) préoccupé par ce qui fait mal, par les vices cachés de son pays, The Land of Hope n’échappe pas à la règle. Le film n’a a priori rien à voir avec Guilty of Romance, sommet de lyrisme pervers, mais le rattrape parfois dans des thématiques proches, notamment autour d’une certaine forme de folie. Mais s’il n’est pas tout à fait exempt de cynisme, le nouveau Sono Sion est avant tout un hommage sincère aux victimes et une profession de foi dans la capacité de l’homme à se relever d’un tel cataclysme.

Dans Himizu (2011), encore inédit en France, Sono Sion transposait déjà un célèbre manga dans le Japon de l’après-Fukushima, la catastrophe survenant pendant le tournage. The Land of Hope va plus loin en faisant du danger de l’énergie nucléaire son thème central. Trois histoires se croisent, trois générations qui souffrent toutes de ses conséquences. Un couple de vieux agriculteurs décide de rester sur leurs terres contaminées, elle est de toute façon sénile et a du mal à connecter avec la réalité ; le fils du fermier et sa femme attendent un bébé et fuient la zone irradiée ; deux adolescents amoureux recherchent les parents de la jeune femme dans les ruines d’un village environnant. C’est à eux, aux générations futures, que pense surtout Sono Sion, sans l’ombre d’un second degré. Leur héritage, ce sont des terres brûlées, un air potentiellement infecté et de probables problèmes de santé, dans une nation changée à jamais par un évènement traumatique en partie imputable à l’action de l’homme et d’un gouvernement, celui du parti libéral-démocrate Jimintō qui a dirigé le pays pendant un demi-siècle et lancé l’industrie du nucléaire. Que Naoto Kan ait fait amende honorable en démissionnant de la tête du Parti démocratique du Japon et de son poste de Premier ministre n’a pas changé grand-chose à la donne : The Land of Hope a dû se faire avec des financements multiples (à 20% taïwanais et anglais), car les producteurs japonais soutenaient le Jimintō et montraient une frilosité à s’engager.
 
 

 
 
Sono Sion affirme dans le dossier de presse que « le véritable sujet tabou au Japon n’[est] ni le sexe ni la violence mais le nucléaire » : que le thème soit encore si brûlant a dû inspirer le cinéaste, qui a pour habitude d’extraire la matière de ses films de l’interdit même – le fort taux de suicide du pays dans Suicide Club, la pornographie et la prostitution dans Guilty of Romance, le voyeurisme et la religion dans Love Exposure (2008). Du nucléaire, The Land of Hope tire l’absurde encore plus que le caractère néfaste, s’articule autour d’incongruités propres à ce genre de situations. Après l’accident, une ligne de séparation arbitraire est tirée dans la zone affectée, d’un côté de la barrière l’endroit est supposé contaminé, donc inhabitable, de l’autre côté, hors de danger. Sono Sion fait de cette absurdité le point de départ des trajectoires personnelles de ses personnages, en les inversant. Le vieil homme et sa femme restent sur les lieux, pourtant minés, ignorant une à une les injonctions de départ, tandis que leur fils et sa bru, habitants de la zone safe, partent s’installer à des centaines de kilomètres. En alternant les histoires sur un rythme ternaire parfois trop lancinant, le cinéaste dit avec humilité la diversité d’attitudes face au drame qui, s’il est collectif, inspire des réactions souvent opposées.

Le récit de la poursuite du quotidien du couple de personnes âgées est sans doute le plus beau, le plus aimable aussi. Le rapport au temps qui reste est tout autre, les deux époux, toujours très unis, jouissant d’une sérénité très rassurante – jusqu’à un dénouement qui rappelle qu’on est bien chez Sono Sion, mélange ambigü d’espoir et de capitulation, à interpréter comme on veut. C’est la nouvelle vie des deux trentenaires qui interroge le plus fortement : alors qu’ils attendent un enfant, la femme se met à craindre pour la santé du bébé à naître jusqu’à effectuer des contrôles de radiation sur tous les produits qu’elle achète, se barricadant chez elle, fenêtres hermétiquement scotchées, et ne se promenant plus qu’en combinaison intégrale de protection radioactive. On retrouve là la fascination de Sono Sion pour les extrêmes, qui met en scène ces mesures de précaution comme antre de la folie dans des plans aussi étouffants que ne l’est l’obsession de son personnage. Il laisse pourtant ouverte la possibilité d’un futur plus clément, une quasi première chez lui. Une vitre qu’on baisse finalement, deux enfants qui sautillent gaiement dans les décombres encore fumants de leur ville ravagée, conseillant aux adolescents héberlués d’avancer « pas à pas » : c’est sur eux qu’il clôt son film, et The Land of Hope, en n’éludant rien des dommages collatéraux du nucléaire, avance finalement que, le temps aidant, tout n’est peut-être pas définitivement perdu.

Titre original : Kibô no kuni

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Durée : 133 mn


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