Car nul, ou presque (il y a aussi Apichatpong Weerasethakul), ne sait aujourd’hui mieux se perdre que lui. Avec son histoire de cinéaste plus ou moins à la dérive revenant passer quelques jours dans le quartier de Bukchon à Séoul, et se trouvant plongé dans une sorte de labyrinthe dans lequel le passé revient coller au présent, notamment sous les traits d’une ex identiques à ceux de la jeune tenancière d’un bar (appelé le « Roman »), The Day He Arrives déploie une temporalité chaotique et vertigineuse, adoptant un ton à la fois absurde et cauchemardesque. Le minimalisme de la narration brouille les repères et par là même – c’est là une véritable leçon – ouvre le champ des possibles. Et l’indéfectible mélancolie indissociable de l’œuvre d’Hong vient se conjuguer avec le devenir fantôme de chaque personnage. Ainsi, quelques jeux formels tenant presque de la contrainte oulipienne (faire jouer par une même actrice deux personnages différents, reprendre une même situation comme s’il s’agissait de la première fois) permettent au cinéaste de maintenir son film dans une ambiguïté temporelle dans laquelle chaque jour peut paraître identique au précédent. Un même corps pourra ainsi également naviguer entre involontaires survivances d’autres vies et distraction quant à la sienne propre. Avançant par discussions alcoolisées interposées, The Day He Arrives tangue alors assez vite à la manière d’un bateau ivre.
Ce dispositif se montre riche de potentiel poétique et touche même au sublime lorsqu’il parvient à se ménager quelques moments au cours desquels ses deux aspects (selon l’auteur, un récit jour après jour dans lequel chaque jour semble être le premier) finissent par se croiser, comme dans cette scène où le cinéaste (Seongjun) embrasse pour la deuxième fois la patronne du bar (Yejeon). L’incertitude (redoublée par l’alcool) quant au souvenir de la première fois surgit. Mais la figure de Kyungjin (ancienne petite amie du cinéaste) se trouve également convoquée à cet instant dans le même corps. Ce travail de tressage, effectué par la grâce de la mise en scène et du montage, ouvre sur la possibilité de toutes sortes d’interprétations, tout en maintenant une forme d’indécision. Cela sans jamais adopter la froideur un peu hautaine de l’exercice de style. Bien au contraire. C’est au plaisir – à l’ivresse – de la forme que le dernier Hong Sang-soo invite.