T2 Trainspotting

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Cette suite qui n’aurait jamais dû exister…

Trainspotting premier du nom suivait les pérégrinations d’une bande de jeunes gens refusant le destin tragique et tout programmé qui les attendait au bout du tunnel. A travers la voix-off de Ewan Mc Gregor, cette nouvelle génération perdue confessait ne fantasmer aucun avenir, mais savait malgré tout celui qu’elle ne voulait pas : « le boulot, la famille, la télé à la con, le lave-linge, la voiture, le lecteur cd, un ouvre-boîte électrique, la santé, le cholésterol, la mutuelle dentaire, les traites, la baraque, le survet’, etc. »

Filmer la fin ouverte

Leur vision n’avait d’autre horizon que le prochain fix d’héroïne, les définissant à la fois comme des corps en quête sans cesse inassouvie de plaisir (et donc de vitalité), dans une forme de consumérisme accéléré de leur temps de vie (et donc de morbidité). La fin du film aura participé au culte générationnel qui s’est développé autour de lui, en ce qu’elle ne cédait pas totalement au pessimisme et aux déterminismes qui semblaient accabler ses personnages : cette dernière image, où Renton (Ewan Mc Gregor) nous sourit en gros plan, avançant inlassablement vers la caméra. Il nous promettait de changer, de devenir comme nous, alors que quelques minutes avant, il trahissait ses amis et leur volait tout l’argent qu’ils venaient de gagner ensemble. Une fin douce-amère, qui gardait cette force propre aux fins ouvertes, en ce qu’elle esquissait une trajectoire sans tout à fait la définir.

Vingt ans plus tard, Danny Boyle fait de ce hors-champ un nouveau film. Et forcément, c’est décevant. Après avoir refait sa vie à Amsterdam, Renton est rappelé à Édimbourg pour une raison obscure, laissant cette impression un peu lourdingue qu’il était simplement voué à être recraché dans son terreau natal. Il rend visite à ses deux vieux copains, Spud et Sick Boy. Très vite, sa présence ravive un souffle adolescent chez eux, les poussant à relancer les affaires ensemble. Conscient de l’institution qu’était son premier film, Danny Boyle filme la ville et les personnages vieillissants comme une grande visite guidée empreinte de nostalgie.


Une histoire de dépendance au passé

L’entremêlement permanent entre les plans du premier et du second, les nombreuses références aux dialogues de l’original, allant jusqu’à la nouvelle obsession de Spud (qui parvient à guérir de son addiction à l’héroïne, en réécrivant toutes les vieilles histoires de la bande), fonctionnent comme un ensemble de signaux à destination des fans, qui regarderait le film comme on visiterait un parc d’attraction peuplé d’épaves et de musiques des années 1990.

On l’aura vite compris, le passé est la seule denrée dont disposent les personnages. Le problème, c’est que c’est aussi le cas pour le metteur en scène, qui ne sait plus trop quoi faire pour réactualiser sa franchise. Bien que l’image pellicule granuleuse de l’original ait cédé sa place au numérique, que les hallucinations mécaniques ont mué en images de synthèse, et que les lecteurs cd se sont transformés en smartphones, la mise en scène ne parviendra qu’à répéter une seule idée d’un bout à l’autre du film : les jeunes sont devenus des has-been condamnés à se répéter, alors que le monde, lui, n’a cessé d’évoluer.

En conséquence, la mise en scène « à effet », si caractéristique du cinéma de Danny Boyle, semble en roue libre, fonctionnant indépendamment de la narration. N’ayant finalement qu’assez peu de choses à raconter – l’intrigue est quasi-inexistante – le film donne l’impression d’une pure stagnation dans un espace sur-découpé, clipesque et souvent saturé de couleurs, comme un moteur à explosions dont la transmission serait au point mort. Les personnages ayant perdu leur jeunesse, leur fougue et même l’héroïne – qui justifiaient l’usage d’une profusion dans l’imagerie –, les effets apparaissent tristement comme une suite de fausses notes. Le meilleur parti-pris aurait peut-être été d’assumer la force mélancolique du projet, de révolutionner la forme de l’objet original en la déconstruisant, en l’épurant considérablement, afin d’en dégager toute la grisaille, et le devenir morne de ces existences.
 

 

 
Quelques tableaux, ça et là, permettent pourtant de se confronter à la beauté simple d’une plaine écossaise, ou à la matérialité d’une architecture, sans ajoutant. Mais là encore, l’impression est gâchée par un nouvel effet ; chacun de ces décors ne fonctionne qu’en tant que rappel du film original. Les vieux personnages n’y passent que parce que les jeunes y sont passés précédemment.

Face à ce constat, il faut se poser la question de l’intérêt initial du projet. Car tout le vertige du premier film advenait de la fulgurance de ces corps, incarnation d’une jeunesse insoumise, souffrante car en excès de conscience (du moins pour le personnage de Mc Gregor), et consommant leur vie comme une cigarette. On ne payait pas bien cher de leur peau à l’issue de l’aventure, mais leur avenir n’appartenait malgré tout qu’à eux, car précisément, leur destin appartenait au hors-champ… jusqu’à aujourd’hui, et c’est bien dommage.

Titre original : T2 Trainspotting

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Durée : 117 mn


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