Une comédie musicale séduisante et tièdement engagée
Présenter un conflit social sous la forme légère mais non moins codifiée de la comédie musicale, voilà le pari audacieux de Sur quel pied danser, le premier film de Paul Calori et Kostia Testut. Audacieux, car depuis Une Chambre en ville (1982) de Jacques Demy, l’idée a été peu exploitée, et suppose d’être mise en œuvre avec subtilité pour ne pas céder à la niaiserie ou à l’enfilade de clips sans cohérence.
Ici, l’histoire est celle de Julie, qui recherche désespérément un CDI après une série d’expériences professionnelles sans lendemain, et croit trouver le saint Graal dans une usine de chaussures de luxe à Romans. Problème : les ouvrières se révoltent peu de temps après son arrivée, et Juile se retrouve embarquée, plus ou moins contre son gré, dans le conflit qui les oppose à la direction. Très vite, un parallèle se dresse avec sa vie amoureuse, elle aussi précaire mais proche du salut, qui se profile dans les bras de Samy, le chauffeur livreur attitré de l’Usine. La progression vers ces deux symboles de réussite personnelle, l’amour et le CDI à temps plein, forme donc une intrigue parallèle au conflit social, qui prend la forme d’une lutte collective des ouvrières contre leur grand patron (Loic Corbery) qui ne jure que par le made in china, et le directeur de l’usine (François Morel) dépassé par la situation. La lutte sociale se double ainsi d’une lutte des sexes, voire d’un conflit de générations personnifié par les aspirations de Julie et Samy, divergentes de celles de leurs ainés.
Cette intrigue, simple mais pas idiote, et très cohérente, est mise en scène dans des tons très colorés et lumineux, et sur un rythme soutenu qui laisse peu de temps morts. On se laisse vite emporter dans la lutte, d’autant plus que les chansons permettent de présenter rapidement et efficacement les personnages. C’est ainsi La révolte des ouvrières, deuxième chanson du film, qui présente chacune des femmes de l’atelier, dont chacune propose un mode d’action pour la lutte. Idem pour La Bossa du Big Boss ou La Ballade du Camionneur, qui mêlent à nouveau paroles, style musical et chorégraphie pour donner une profondeur aux personnages concernés. Il faut dire que les deux réalisateurs ont su bien s’entourer, avec six paroliers et compositeurs (notamment Olivia Ruiz et Jeanne Cherhal, ou Olivier Daviaud qui avait travaillé sur Gainsbourg, vie Héroïque(Joann Sfar, 2010)), dont les sensibilités variables produisent un éclectisme assez réjouissant.
Le genre est maîtrisé, car tant les chorégraphies que les paroles ont été travaillées pour servir l’intrigue, mais il en ressort une sensation d’ensemble un peu lisse. La gravité du sujet est peut-être trop estompée par la forme, qui effleure la part d’ombre du conflit mais ne l’aborde jamais vraiment. On ne pourrait pas reprocher au film un manque d’engagement, mais peut être un manque de courage, comme si l’audace initiale du choix formel avait ensuite refroidi les ardeurs de ses deux réalisateurs, à l’image de leur héroïne, qui ne contribue à la lutte initialement que malgré elle, puis par intermittence, et qui semble plus guidée par un désir d’autonomie et d’indépendance que par la solidarité avec les ouvrières. Là réside aussi un des intérêts de ce film, qui montre les aspirations et le rapport différent à l’engagement entre les deux générations : les charges de CRS et le drame de Demy n’ont pas leur place ici, où la lutte est menée par des actions bien plus inoffensives. Cette impression de tiédeur déçoit finalement, comme si la légèreté de la forme avait finalement fait oublier la réalité matérielle dont émane ce film, plus chargé d’espoir que de courage.