Spring Breakers

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Gangsta girls théorie.

Virginie Despentes écrivait de Britney Spears après son épisode boule à zéro : « Britney, on dirait que Minnie du parc Disney a brûlé son costume et qu’elle déambule dans le château, une tronçonneuse dans une main et une bouteille de bière dans l’autre » (1). Manière d’évoquer l’ancienne ingénue devenue « bidoche à images », petite star d’une Amérique qui ne l’a pas loupée. Médiatisation identique pour Vanessa Hudgens et Selena Gomez, estampillées jeunes actrices Disney qui font le grand saut vers l’indé foutraque d’Harmory Korine.

Si la filiation est a priori lointaine, les deux jeunes filles menant jusqu’ici une carrière vierge de tout dérapage alcoolique, agression de paparazzis ou internement, c’est au réalisateur même qu’on la doit. En début de film, les quatre amies parties s’éclater en Floride pour le Spring break (semaine de relâche étudiante festive traditionnelle en Amérique du Nord) entonnent a capella Baby One More Time. Comme en réponse, au trois quarts du film, une autre citation de Britney, quand Alien (James Franco) se met au piano pour interpréter un morceau d’une « des plus grandes artistes vivantes, un ange sur Terre ». Everytime résonne au bord de la piscine, deux filles vêtues de cagoules roses et armées de fusils « interprètent » le morceau : comme dans un clip MTV, le temps se suspend pendant quatre minutes, les filles sont jolies et les sentiments idéaux.
 
 

 
 
Impossible de voir dans ces deux occurrences moquerie ou citation ironique : le film propose une filiation réelle entre ses personnages (et l’aura de deux des actrices) et le destin de Britney. Elle saute aux yeux à la découverte des personnages : groupe indissociable de quatre jeunes femmes aux cheveux détachés ; aucun maquillage hormis les ongles vernis ; gesticulations ponctuées de rires ; fringues aux couleurs flashy, assorties. Leur féminité est bien celle d’un entre-deux, fin de l’adolescence couplée à une hyper sexualité dans les poses, l’attitude. Corps contradictoires, quelques part entre l’étudiante à couettes de Baby One More Time (les filles sont petites comme des enfants, alignées comme des poupées dans un plan sur deux) et les bitches lascives de la culture télévisuelle américaine.

Le film se joue entièrement sur cet écartèlement; impossibilité programmée d’une féminité attendue et de la trajectoire que prennent les héroïnes – que cela passe par des questionnements moraux (une des filles, croyante pratiquante, s’interroge sur le sens à donner à cette échappée loin du campus) comme par la sélection naturelle qui s’opère entre les quatre amies de départ.

L’épopée atmosphérique filmée par Harmory Korine, en plus d’être visuellement planante, nappes musicales de Skrillex et Cliff Martinez à l’appui, est plus sérieuse qu’il n’y paraît. Le point de vue, d’abord pris en charge par la voix off de la plus sage des filles, est progressivement accaparé par Alien, gangsta blanc dealer de banlieue (James Franco enfin charismatique). Quand on craint la manipulation des jeunes filles fascinées par ce mec qui les a sorties de prison, le film prend la trajectoire inverse. Contre toute attente (spectactorielle ou socio), elles iront jusqu’au bout du voyage, convaincues d’avoir déjà vécu le plus beau moment de leur vie.
 
 

 
 
L’enfance n’est plus à l’ordre du jour, les études et le retour à la norme n’auront pas lieu. La mise en scène déréalisée – plans saturés très découpés -, construite sur le motif de la boucle, sonore et visuelle, renforce l’aspect programmatique du film, comme la perception de pure fantasmagorie qu’on en a. L’entrelacement des voix et des images qui  « tournent en boucle » fait pulser les corps dansants en fonction repeat avec une puissance sensorielle digne des meilleurs produits illicites.

Cette déflagration sensorielle que le Spring break et ses excès procurent aux filles s’entremêle d’images « réelles » enregistrées par le cinéaste lors de ses repérages pour le film. En collant le visage de ses actrices sur des corps anonymes, il mixe ses propres plans avec l’imagerie collective et télévisuelle, clippesque. Rien n’est gratuit chez Korine, comme si le singulier parcours de ces jeunes filles avait au fond beaucoup à voir avec la jeunesse de son pays, sans chercher pour autant à en faire une double lecture.

Grand écart encore, entre un film esthétique et coloré, de prime abord superficiel, mais qui se glisse dans la nuit quand il se rapproche du cœur noir de ses personnages féminins. Plus fortes que les hommes, elles prennent leur trajectoire en main, dans deux scènes où les atouts courants de la masculinité sont complètement inversés : insulte, provocation, domination sexuelle (scène ahurissante où James Franco fait une fellation au pénis imaginaire des filles !) et attirail du truand sont cette fois-ci les armes des filles. S’il est impossible de mettre sous le tapis la scène finale, elle n’enlève rien à la pureté de l’épopée. Ce n’est pas sur une note tragique qu’elle se conclut, mais sur le fantasme puissant de la récupération de ses pleins pouvoirs, la démonstration d’une violence assumée, décidée, amorale et réfractaire au jugement. Comme si Britney avait finalement trouvé comment allumer la tronçonneuse.

(1) Virginie Despentes, « 100% Britney ». Technikart, no 119 (février 2008).

Titre original : Spring Breakers

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Durée : 93 mn


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